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théâtre si éloigné de nos habitudes, qu’il est bien difficile de s’en rendre compte, malgré l’abondance des détails et les ingénieuses conjectures d’une foule d’érudits.

Les usages du théâtre antique, pendant la période florissante d’Athènes, n’offrent avec les nôtres que des contrastes[1]. En Grèce, de vastes amphithéâtres, des spectacles à ciel découvert, aux yeux de tout un peuple convié gratuitement ; aujourd’hui, des salles exiguës, éclairées artificiellement, remplies, tant bien que mal, par les oisifs en état d’acheter un remède contre l’ennui. D’une part, pour acteurs, des citoyens qui accomplissent avec plaisir un devoir religieux en montant sur la scène ; d’autre part, quelques artistes intelligens et enthousiastes perdus dans la foule de ceux qui font leur métier avec ennui et pour vivre. Le poète grec avait encore l’avantage de pouvoir choisir des interprètes dans toutes les classes, car l’éducation commune de l’enfance semblait n’être alors qu’une préparation aux exercices dramatiques. La musique en faisait la base, et sous cette dénomination générale on comprenait les arts divers qui tirent leur puissance du rhythme. Deux de ces arts concernaient spécialement la diction et le geste, les deux moyens d’expression du comédien : c’étaient la musique hypocritique, art de la récitation théâtrale, et la musique orchestique, art de la danse ou plutôt de la gesticulation expressive, qui consistait, a dit Platon, dans l’imitation méthodique de tous les gestes que les hommes peuvent faire. Appliquée à la scène, l’orchestique se subdivisait en trois méthodes spéciales : emmélie, ou gesticulation tragique ; cordace, ou gesticulation usitée dans la comédie ; Sicinnis, danse et gesticulation satiriques. Chez les Romains, le fameux Pylade institua une quatrième méthode, qu’il appela italique, pour les gestes en usage dans la pantomime. Ainsi, tout homme de bonne éducation était préparé à monter sur la scène, et, comme les divers genres d’expression dramatique reposaient sur des principes et des conventions invariables, comme les inflexions du geste et de la voix avaient une valeur généralement acceptée, l’étude d’un rôle pouvait, à la rigueur, se réduire à un travail de mémoire.

  1. Mon but étant simplement d’exprimer quelques observations sur l’art de l’acteur, je glisserai sur les usages extérieurs, comme sur l’esprit littéraire du théâtre antique. Nos lecteurs n’ont pas oublié une série d’études sur la mise en scène chez les anciens, présentées par M. Ch. Magnin, avec un talent égal la sûreté de son érudition. Ce travail, qui a épuisé la matière me dispense, fort heureusement pour moi, d’une tâche à laquelle je ne serais point préparé ; — Voyez Revue des Deux Mondes, livraisons des 1er septembre 1839, 15 avril et 1er novembre 1840.