Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 8.djvu/131

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le génie prosodique des langues anciennes, la différence des moyens d’exécution, des localités, du personnel dramatique, donnaient à la diction un caractère si étrange, que nous avons besoin d’un effort d’esprit pour en concevoir l’effet. Jusqu’au commencement du XVIIIe siècle, on croyait vaguement que les tragédies grecques étaient chantées d’après une mélopée écrite à l’avance par un musicien, sinon par le poète lui-même. Par le mot mélopée, on entendait un genre particulier de notation applicable au drame, et de nature à préciser le rhythme, les accentuations et le dessin mélodique de chaque phrase. La vérité, ou du moins une lumière plus certaine, jaillit enfin d’une controverse engagée entre l’abbé Dubos et Racine le fils, et prolongée par l’intervention des plus savans hommes de l’époque, Rollin, Voltaire, les académiciens Vatry et Duclos, les jésuites Bougeant et Brumoi, le bénédictin Caffiaux et beaucoup d’autres. Le débat se termina par une sorte de transaction entre ceux qui faisaient du poème tragique une véritable partition musicale, et ceux qui niaient la possibilité de noter le débit des déclamateurs. On distingua dans la tragédie grecque trois partie : le dialogue, diverbium, c’est-à-dire le drame lui-même ; les cantiques, morceaux d’un sentiment élevé et d’un rhtythme chantant, amenés dans les momens d’expansion lyrique, comme les stances de Polyeucte et du Cid, ou comme les airs de bravour de nos opéras ; enfin, les chœurs. Or, suivant les conclusions de la critique, dans les scènes d’action, le ton du dialogue devait bien prendre des inflexions chantantes, comme celles des tragédiens qui exagèrent ; mais il n’avait pas pour cela le vrai caractère du langage musical, qui est de procéder par intervalles égaux, appréciables à l’oreille et mesurés comme ceux de notre gamme. Le dialogue tragique conservant les intonations inégales et non mesurables du parler ordinaire, il n’y avait donc pas possibilité de noter exactement chaque phrase, syllabe par syllabe, comme dans le chant proprement dit. La notation appliquée à cette partie du drame devait correspondre seulement aux signes expressifs de notre musique, indiquer les silences, les degrés de la force vocale et aussi le rhythme prosodique, afin que le déclamateur pût se mettre d’accord avec l’accompagnement, qui ne s’arrêtait jamais. Le monologue lyrique, ou cantique, était un morceau de chant véritable, susceptible d’être noté, et accompagné avec plus de recherche que le récit. Enfin, les chœurs étaient toujours chantés sur des mélodies simples, franches et fortement rhytmées, de telle sorte que les spectateurs eux-mêmes pussent se joindre par instans aux musiciens.