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Il n’y avait d’autres combinaisons harmoniques que les accords naturels trouvés instinctivement par tous ceux qui ont de l’oreille.

Bien que le dialogue dramatique de la tragédie grecque n’eût pas le caractère que nous attribuons au chant, il s’éloignait encore beaucoup plus des idées que nous avons pu nous faire de la déclamation parlée. Tout le monde sait que chez les anciens, chaque syllabe avait une durée précise et invariable dans sa prononciation, et qu’on devait employer exactement à l’articulation d’une longue le double du temps nécessaire pour une brève. Cette observation de la quantité syllabique, en usage dans le discours familier, était impérieusement exigée au théâtre. Pour prévenir la tempête que n’eût pas manqué d’exciter une violation de la prosodie, un homme était sur la scène, en vue de tous, frappant du pied pour battre la mesure. Ainsi, le tragédien et même l’acteur comique n’étaient pas moins esclaves du rhythme dans leur diction que, dans leurs genres, le chanteur et le danseur. Auprès du batteur de mesure se trouvaient deux musiciens accompagnateurs l’un pour guider les scènes dialoguées, l’autre pour soutenir les parties lyriques. Le premier exécutait sur la flûte une sorte de basse continue, dont le son était ordinairement faible et discret ; mais, par momens il frappait des accens avec force, soit pour indiquer aux déclamateurs certaines intonations dans les passages importans, soit plutôt pour les aider à rentrer dans le ton lorsqu’ils étaient jetés hors d’eux-mêmes, par des efforts trop violens pour grossir leur voix. On faisait alors un mérite aux tragédiens d’un certain genre de vocifération surhumaine, en contraste avec le ton assez familier de la comédie. Tragoedus vocifératur, comoedus sermocinatur, a dit Apulée. Les masques, suivant la définition étymologique d’Aulu-Gelle (persona du verbe, personare, résonner), aidaient beaucoup le mécanisme vocal. Le développement monstrueux de la bouche cachait une espèce de porte-voix au moyen duquel, dit Cassiodore, se formaient « de tels sons qu’on avait peine à croire qu’ils pussent sortir de la poitrine d’un mortel. »

Si le parler des tragédiens était conventionnel, leur aspect, leur gesticulation, ne l’étaient pas moins. Pour que les acteurs qui paraissaient dans une perspective plus éloignée que les choristes conservassent aux yeux du public une stature héroïque, ils chaussaient le cothurne, c’est-à-dire des brodequins dont les semelles étaient exhaussées par un entassement de feuillets d’une matière souple, je le suppose. Ils étaient obligés en outre de se matelasser le corps pour le proportionner à leur taille