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nom dans ce genre. Leurs pièces étaient des pastorales, c’est-à-dire des conversations galantes, relevées d’ordinaire par des bouffonneries ou des allégories satiriques. Dans ce temps-là, dit Cervantes en recueillant des souvenirs d’enfance, tout l’appareil d’un auteur de comédie s’enfermait dans un sac, et consistait en quatre pelisses blanches de berger, garnies de cuir doré ; quatre barbes ou chevelures postiches, et quatre houlettes. Il n’y avait point de coulisses : l’ornement du théâtre, c’était une vieille couverture soutenue avec des ficelles. » Les progrès de la mise en scène sont attribués à un certain Naharro de Tolède, renommé, pour les rôles comiques. En peu de temps, on imagina les coulisses, les décors, les costumes ; on trouva les moyens de produire les tonnerres, les éclairs, les incendies, les cérémonies, les combats à pied et à cheval. Le matériel du théâtre semblait préparé pour un drame pétulant et romanesque en rapport avec les instincts de la foule. Cervantes, un des premiers, donna des pièces dans ce caractère. A travers son ironie souriante, il laisse percer l’orgueil d’avoir fondé le théâtre national : « On ne toucha, dit-il, à la perfection qui nous charme aujourd’hui, qu’au moment où l’on représenta sur le théâtre de Madrid les Captifs d’Alger, pièce de ma composition. Je donnai depuis vingt à trente comédies, qui toutes furent représentées sans que le public lançât aux acteurs ni concombres, ni oranges, ni rien de ce qu’on a coutume de jeter à la tête des mauvais comédiens. » A peine ouverte, la veine fut exploitée, avec une puissance gigantesque, par Lope de Vega et par beaucoup d’autres poètes d’une si prodigieuse, fécondité, qu’on n’a pu réussir à dresser l’inventaire complet de leurs ouvrages.

Il y avait depuis long-temps en Espagne, comme au-delà des Pyrénées, des scènes érudites, alimentées et suivies exclusivement par les savans de profession. Plusieurs des pièces écrites alors suivant les règles de la poétique grecque eussent mérité, assure-t-on, un succès solide et durable ; mais débitées dans les universités, et sans doute avec une emphase pédantesque, elles ne pouvaient atteindre cet entrain, ce fini d’exécution, qui sont nécessaires pour impressionner sérieusement un auditoire. Les poètes et les comédiens ne se trompent pas aux démonstrations de la foule : l’enthousiasme dont ils ont besoin ne se renouvelle que dans les applaudissemens sincères. A l’exemple des femmes andalouses, qui abaissent un rideau devant l’image de la madone quand elles craignent quelques tentations, Lope de Vega et les poètes de même école, franchement dévots à l’antiquité, voilaient pieusement le buste d’Aristote avant d’écrire pour les tréteaux populaires