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ces drames où le sublime étincelle et dont notre Corneille devait s’inspirer. Un jour vint où les savans s’ennuyèrent de déclamer dans le vide, et le théâtre classique, qui n’avait jamais eu de public en Espagne, succomba définitivement, faute d’interprètes.

Quels ont été l’état matériel de la scène, le sort des comédiens le, système de la déclamation, pendant la période active du théâtre espagnol, pendant le règne brillant des Vega, des Castro, des Alarcon, des Royas, des Calderon ? A défaut de feuilletons, dont on se passait fort bien, je consulterai les impressions des voyageurs contemporains. Les troupes ambulantes étaient si nombreuses, que la plupart des villes avaient le plaisir de la comédie. Il y avait à Madrid deux théâtres publics et plusieurs salles dans les palais royaux, bien que le roi n’eût pas de troupe à ses gages. Le prix des meilleures places, c’est-à-dire des siéges réservés, représentait environ quinze sous de France, équivalant à plus de deux francs de notre monnaie actuelle. Deux sous au plus par spectateur, revenaient aux comédiens ; le reste était partagé entre les hôpitaux, la municipalité propriétaire des salles et les loueurs, de chaises. Dans les provinces, la contribution était moindre. En général, le sort des comédiens était assez misérable, et il fallait pour le supporter ce dévouement qui est un des indices de la vocation. Une première actrice, célèbre en 1639, avait par exception trente-trois réaux par jour et une litière à ses ordres. Le goût pour le théâtre, très vif dans toute la Péninsule, dégénérait à Madrid en véritable fureur. Quoique deux salles fussent ouvertes tous les jours, il était difficile aux étrangers d’y pénétrer. Les places d’honneur étaient toujours louées à l’avance par les gens de distinction, et plusieurs familles se piquaient de les conserver de père en fils, comme un fief. Il y avait pour les femmes un amphithéâtre inaccessible aux hommes. A l’heure du spectacle, c’est-à-dire vers le milieu de la journée, beaucoup de boutiques, beaucoup d’ateliers restaient déserts. Les petits marchands, les artisans allaient s’entasser au parterre, où, debout, drapés dans leur cape, la rapière au côté et la main sur le poignard, ils prononçaient sur le mérite des acteurs et des pièces. Le parterre était, suivant ses impressions, un volcan d’enthousiasme ou une tempête de colère : les jours de cabale, il devenait un champ de bataille.

Les représentations des Autos sacramentales avaient un caractère particulier, elles commençaient chaque année le jour de la Fête-Dieu, et duraient environ un mois, pendant lequel les spectacles profanes demeuraient fermés. On élevait à cet effet des échafauds sur les places publiques devant la résidence des hauts dignitaires de l’endroit. A Madrid