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on jouait d’abord devant le palais du roi, et successivement devant les hôtels de chacun des ministres. Pour donner plus de pompe à ces solennités, on mettait en réquisition tous les comédiens de la ville sauf à choisir entre eux les plus habiles et les plus dignes. La munificence des grands de l’état prêtait à la mise en scène un éclat inaccoutumé. Les décorations et les costumes de chaque jour, grotesques dans les petites villes, mesquins même à Madrid, prenaient une apparence de splendeur pour les représentations des Autos. Les étrangers étaient surtout surpris de voir qu’on prodiguât les flambeaux à ces pièces’ saintes, exécutées en place publique et en plein midi, tandis qu’on jouait les pièces profanes sans lumières, dans des salles ou dans des cours obscures.

J’arrive au point capital, et j’interroge mes vieux voyageurs sur le mérite des comédiens. « La représentation ne vaut presque rien, dit l’un d’eux (Van Aarsens, 1655) ; car, excepté quelques personnes qui réussissent, tout le reste n’a l’air ni le génie du vrai comédien. Les habits des hommes ne sont ni riches ni proportionnés aux : sujets : une scène grecque ou romaine se représente avec des habits espagnols… On chante si mal que l’harmonie semble des cris d’enfans. Aux entr’actes il y a quelque peu de farce, quelque ballet ou quelque intrigue, et c’est souvent le plus divertissant de la pièce. » Ce jugement sévère confirme les conjectures qu’on peut établir d’après le répertoire du vieux théâtre espagnol. Si on veut bien se rappeler que Lope de Vega a composé, suivant le calcul de ses apologistes, deux mille deux cents pièces de théâtre, et répandu vingt et un millions trois cent mille vers sur cent trente-trois mille deux cent quatre-vingt-deux feuilles de papier ; que la plupart de ses nombreux successeurs ont semé les drames par centaines, on conviendra que les comédiens aux prises avec d’aussi rudes joûteurs ont eu peu de temps à donner à la méditation des rôles : il fallait que chacun d’eux se consacrât à reproduire constamment une même nuance de caractère, à peu près comme les improvisateurs de la comédie de l’art en Italie. Les critiques littéraires ont remarqué en effet que tous les personnages du théâtre espagnol répondent à des types conventionnels et immuables, placés en dehors de la réalité. L’amant réunit de droit les qualités chevaleresques ; l’amante offre l’idéal de la passion et de la fidélité. Hautains, Inflexibles sur le point d’honneur, tels doivent être les parens de l’héroïne. Toujours les gens de condition, quel, que soit leur caractère, sont placés sous un reflet sombre et sévère : leurs vices, quand ils en ont, sont anoblis par une fierté héroïque qui les maintient à leur