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l’idée vous fût-elle jamais venue d’aborder cet abîme de ténèbres et de profondeur ? Il n’y a au monde qu’un Allemand, et parmi les Allemands qu’un homme, Meyerbeer, qui puisse, dans le cours des siècles vouloir entreprendre de mettre Iago en musique. Honest Iago ! essayez donc de rendre avec des violons et des hautbois le sublime et l’immensité de cette parole. Votre lago, vous, c’est tout simplement le traditore du mélodrame italien, ce drôle qui orne sa toque d’une plume rouge et porte un pourpoint sombre en signe de la noirceur de son ame. Comme, il a un billet à remettre dans la pièce, vous lui avez donné un duo ; il le chante, puis se retire, et tout est dit. Iago, c’est le secondo basso contante de la troupe, comme Elmiro en est le primo basso. Or, rien, vous le savez, ne chante faux à l’égal d’un second sujet de troupe italienne. Cette vérité, qui remonte dans la nuit des temps, fut comprise d’abord du public dilettante, lequel ne manquait jamais d’accueillir par des éclats de rire et des huées le pauvre diable appelé par ses attributions à se charger de ce personnage subalterne, et plus tard par l’administration, qui, pour arriver à ces magnifiques ensembles où nous assistons, décida qu’à l’avenir le premier sujet remplirait à certains jours solennels la partie du second, en d’autres termes, qu’un Tamburini ou qu’un Ronconi chanterait Iago dans Otello. Mais là ne devait point s’arrêter la mise en lumière du personnage : à cette réhabilitation, entreprise uniquement au point de vue des ensembles, devait succéder la réhabilitation au point de vue de l’art. Réjouissez-vous donc, cher maître, Iago ne sera plus désormais cet obscur lieutenant qui figurait à peine dans votre opéra à l’état de comparse ; le voici qui brille au premier rang, ni plus ni moins que s’il surgissait de la tragédie de Shakespeare. Enfin, et grace à l’ingénieuse combinaison des poètes qui viennent d’illustrer votre œuvre, nous avons un Iago. Au fait ne fallait-il pas ajouter une cavatine pour M. Barroilhet ? M. Barroilhet est un virtuose d’importance trop haute pour se contenter d’un duo, même quand il a sous les yeux l’exemple de Tamburini et de Ronconi, qui n’en ont cependant jamais demandé davantage. La cavatine devenue nécessaire, il ne s’agissait plus que d’y mettre des paroles ; oui, mais quelles paroles ? Et, pardieu, qu’à cela ne tienne ! Iago se racontera lui-même au public. Accordez les violons et les flûtes, que nous mettions à nu cette ame fourbe ; et qu’une fois nous disions le secret de tant de perfidie et de haine, ce secret de l’enfer si profondément enveloppé par Shakespeare. Vous connaissez ces personnages de la caricature