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anglaise que le dessinateur fait parler en leur mettant dans la bouche une ou deux lignes écrites sur une sorte de vapeur nuageuse grossièrement figurée. Tel est Iago. ; les sombres poisons de cette conscience venimeuse s’exhalent ainsi en bouffées mélodieuses, et bientôt l’harmonie opérant ses prodiges. « Ah ! s’écrie-il dans un retour bucolique sur lui-même où j’aurais souhaité quelques pipeaux, quel honnête homme j’aurais fait, s’il m’eût été donné de posséder. Le cœur de Desdemone ! donnez-moi le cœur de Desdemone, et je deviens philanthrope. » Grande et poétique paraphrase du monologue si habilement rendu par M. Alfred de Vigny. Donnez donc Elmire et la cassette à ce bon M. Tartufe, et vois verrez après ce qu’il dira.

Quel rôle que cette Desdemone à qui vous avez donné tout votre admirable troisième acte pour chanter et mourir ! Mme Stoltz n’a point su résister à l’espèce de tentation qu’il exerçait sur elle. Invinciblement entraînée par la magie du charme lorsque ses yeux se sont ouverts, à cette heure de calme réflexion qui suit toujours une dernière répétition générale, lorsqu’elle a pu froidement mesurer le précipice, il était trop tard pour reculer. Comme cette sirène perfide du rocher de Lurley qui chante pour attirer les voyageurs à l’abîme, votre blanche Desdemone aux cheveux dénoués, à la harpe d’or, fascine de sa voix enchanteresse toutes les cantatrices qui passent, et plus d’une, haletante, est venue succomber sous le saule, all’ ombra del salice. Mme Stoltz a voulu essayer ; pourquoi pas ? Un échec de plus ou de moins, qu’importe, quand il s’agit de satisfaire une fantaisie ? Capricieuse comme l’onde, a dit le poète, et comme une prima donna, devrait-on ajouter. Puisque les traducteurs étaient en si belle humeur de chansonner Shakespeare, peut-être auraient-ils trouvé là le motif d’une cavatine à mettre dans la bouche de leur héroïne, en manière de moralité Vous vous souvenez, maître, de la Pasta dans ce rôle, car c’est d’elle qu’il faut parler sans fin lorsqu’il s’agit de la vraie Desdemona. La. Malibran, poétique, ardente, passionnée à l’excès, mais trop souvent ravie à son insu par la fougue de sa nature bondissante (il y avait de la panthère dans cette organisation déliée et souple, dans cette narine dilatée, dans cet œil de feu), la Malibran sacrifiait presque toujours l’ensemble aux détails. La Pasti seule me semble avoir saisi et fixé à jamais le côté classique de votre création, le contour ; et s’il m’était permis de m’exprimer ainsi, je dirais que l’une en fut la vignette anglaise, l’autre le marbre. Sa voix, bien qu’incomplète et voilée, avait,