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et sa tête se redresser fièrement pour répondre. Ce contraste éclatait surtout dans les ensembles, lorsqu’elle avait affaire à tous les deux, par exemple lorsqu’étant à supplier son père, la voix sombre et fatale du More lui arrivait brusquement, et qu’après s’être détournée vers lui, elle revenait s’incliner aux genoux du vieillard.

Vous rappellerai-je sa pose inimitable et son intelligence de la situation dans la scène du saule, ainsi, que ce grand secret qu’elle possédait de se draper magnifiquement à deux reprises sur sa couche, une fois pour le sommeil, l’autre pour la mort ; tantôt la tête appuyée sur son bras, de manière à laisser, voir au public sa main, qu’elle avait très belle, tandis que l’autre bras descendait mollement sur sa hanche ; tantôt échevelée, la tête et les bras pendant hors du lit, où reposait le reste de son corps ? Mais tout cela, il faut l’avoir vu et entendu, et de pareilles choses, si elles pouvaient se décrire, cesseraient d’être ce qu’elles sont.

Quel, dommage que de tant de poésie d’inspiration et de style il ne reste plus rien ! Qui parle aujourd’hui de la Pasta ? Oh ! l’art du comédien, misère et néant ! et que l’indifférence du lendemain lui fait payer cher les trésors et les couronnes de la veille ! Il meurt, une poignée de terre, et tout est dit, quelquefois même l’oubli, pour s’emparer de sa personne, n’attend pas que la mort le lui livre. Dernièrement, aux funérailles de Seydelmann, cet autre enfant de la muse tragique que l’Allemagne ne remplacera pas, le seul acteur qui ait jamais su rendre dans ses mille nuances insaisissables cette immense figure du Méphistophélès de Goethe, aux funérailles de Seydelmann, le prêtre catholique qui assistait à la cérémonie, après avoir accompli les devoirs de son ministère et au moment de s’éloigner, prit une poignée de terre qu’il jeta sur le cercueil en signe d’adieu. Aussitôt tous les amis de Seydelmann en font autant l’un après l’autre, et ce bruit sourd et creux fut le dernier applaudissement qui salua le grand artiste. C’est effrayant comme ce siècle oublie vite et froidement, et vous voulez qu’on se souvienne d’un comédien ! Je déteste les lieux-communs mais cependant, il faut bien le dire, le comédien écrit son souvenir sur le sable que le vent disperse, sur le flot qui va s’effaçant de lui-même, et quelques années ont suffi pour faire passer chez nous à l’état de mythe et de légende les noms les plus glorieux au théâtre et les plus aimés. — Ici, cher maître, vous, froncez le sourcil, et j’entends votre voix m’interrompre pour s’écrier, avec amertume : « La gloire du virtuose est-elle donc la seule qui, passe, et celle du maëtro vit-elle