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dans certaines cordes, des sons d’une richesse et d’une expression singulière. Et puis, quel art dans sa façon de dire, quel goût parfait dans la disposition des ornemens, toujours maintenu au ton de l’épopée lyrique, chez elle, la cantatrice s’effaçait devant la tragédienne ! La voyez-vous encore, cher maître, avec sa taille imposante, son grand air, ses traits si mobiles, où tant de passions et d’orages éclataient, toujours beaux dans la douleur comme dans la joie, dans la colère comme dans le dédain, dans les larmes du désespoir et dans les angoisses de la mort ? Pas un mouvement qui n’eût sa loi, pas un regard, pas un geste qui ne fût à sa place, rien de conventionnel, partout l’inspiration du moment, et cependant partout aussi le calcul et la réflexion, l’art en un mot tel qu’on se l’imagine, l’idée qu’on se fait de la muse tragique. Pour moi, je ne l’oublierai jamais, au troisième acte, dans la scène du dénouement, lorsque, se dressant sur la pointe du pied elle se rapprochait tout à coup d’Otello, et, du haut de son innocence outragée, laissait tomber sur lui un sourire écrasant d’indignation et de mépris. Il fallait aussi la voir, au. Second acte, s’élancer de l’avant-scène vers le fond du théâtre pour interroger le chœur sur le sort de son époux ; et ce cri de joie et de reconnaissance qu’elle poussait d’un front rayonnant et comme transfiguré, en apprenant qu’il vit, ne vous semble-t-il pas l’entendre encore, au bruit des applaudissemens et des bravos, mille fois répétés ? — Au même instant survient le père, et l’on assistait alors à l’une des plus admirables péripéties où l’art dramatique se soit jamais élevé. A l’aspect du vieillard qui vient de la maudire, Desdemona s’arrêtait immobile et comme frappée de la foudre au milieu de ses élans d’ivresse. On eût dit que les, ténèbres remplaçaient tout à coup la lumière autour d’elle, tristes et mortelles ténèbres, toutes pleines des souvenirs du passé et des pressentimens d’un avenir plus sombre encore. La Pasta avait une manière à elle d’interpréter ce caractère. (remarquez, cher maître, que je ne parle point ici du personnage de Sakespeare, mais du vôtre), et de rallier entre eux les divers points de son action tragique. Dès qu’elle se sentait près de son père, l’idée de ses malheurs et de sa faute lui revenait ; c’était encore la fille pieuse et tremblante implorant son pardon, et se désespérant jamais de l’obtenir. Vis-à-vis du More, au contraire, son attitude devenait tout autre, et, chaque fois que celui-ci s’emportait jusqu’à la menacer, le visage de Desdemona trahissait subitement je ne sais quelle expression de répugnance et de dégoût physique ; puis, se ravisant soudain, on voyait sa joue se colorer