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manifeste de tous les traités, et que jamais l’opinion publique ne s’en est détachée. La Grèce, en 1843, n’a fait que reprendre ses traditions et revendiquer ses droits. Elle pourrait, si la monarchie constitutionnelle ne s’y acclimatait pas, devenir une république ou une province russe : elle ne redeviendrait pas une monarchie de bon plaisir.

Il y a d’ailleurs en Grèce, tout le monde en convient, un désir général de s’instruire qui ne peut manquer d’être très-favorable au développement graduel et régulier des institutions représentatives. Je ne parle pas seulement de l’université, des gymnases, des écoles helléniques qui donnent aux classes moyennes l’instruction supérieure ou secondaire, je parle surtout des écoles primaires dont chaque commune est pourvue, et où tous les enfans sont admis[1]. Pour ceux qui savent, par expérience, combien en France il est difficile de déterminer les parens à se priver, quelques heures par jour, des services de leurs enfans, c’est assurément un merveilleux spectacle que de voir, dans les petits villages de la Grèce, une école très passable et bien garnie. On dit quelquefois qu’en Grèce il n’y a pas de peuple, et que toutes les classes de la société y sont à peu près au même niveau. On dit que, par conséquent, le vote universel dans ce pays est la reconnaissance et la consécration de l’état social existant. Si cela est exact, comme je suis disposé à la croire, on comprend que dans un tel pays des écoles gratuites et obligatoires soient une institution politique du premier ordre. Or, cette institution existe ; il ne reste plus qu’à la fortifier et à lui faire porter tous ses fruits.

En résumé, je ne crois point que la Grèce, telle que l’a constituée le traité de 1832, soit hors d’état de se suffire à elle-même. Je ne crois point que les Grecs soient impropres aux institutions représentatives. Matériellement, moralement, politiquement, la Grèce me paraît donc parfaitement viable, à la seule condition que ses amis ne désespèrent pas d’elle, et ne la livrent pas comme une proie à la convoitise de ses ennemis déclarés ou secrets. Cependant, je ne puis le nier, il n’est pas un Grec, du plus pauvre au plus riche, du plus petit au plus élevé, qui ne se sente à l’étroit dans les frontières actuelles. Tandis que les plus aventureux ne parlent de rien moins que de conquérir Constantinople et de refaire l’ancien empire grec, les plus modestes font remarquer avec douleur que l’on a laissé sous la domination turque les provinces les plus peuplées et les plus riches, l’Epire,

  1. Je donnerais sur l’état de l’instruction en Grèce des détails plus étendus, si un homme plus compétent que moi, M. Ampère, ne l’avait fait dans cette Revue même (voir le numéro du 1er avril 1843.)