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la Thessalie, la Macédoine, les îles les plus fertiles et les plus belles, Candie, Chio Mytilène, Samos. « Nous avons là, disent-ils, deux à trois, millions de frères qui ne demandent qu’à se joindre à nous, et dont l’accession donnerait à la Grèce indépendante une tout autre consistance, une tout autre position dans le monde. Si les puissances européennes veulent vraiment que la Grèce existe, pourquoi nous forceraient-elles à les repousser ? Pourquoi ne nous aideraient-elles pas au contraire à les faire entrer pacifiquement dans notre communauté ? Les puissances ont pu, en 1840, arrêter le mouvement qui se préparait, en proclamant solennellement la nécessité de maintenir l’intégrité de l’empire ottoman ; mais elles sont trop éclairées, trop prévoyantes pour ne pas voir, que l’empire ottoman tombe en ruines. Qu’au lieu de s’en disputer les débris, elles en fassent la Grèce héritière. C’est le moyen, l’unique peut-être, d’éviter entre elles un conflit sanglant, prolongé ; et dont l’issue est incertaine pour tous. »

Ici, on le voit, la question grecque s’étend et se complique. Ce n’est plus de la Grèce seule qu’il s’agit, mais de l’empire ottoman et de la politique européenne tout entière. Il faut donc jeter un coup d’œil rapide sur cet empire et sur cette politique.

Quand on cherche à prévoir quelle est la destinée prochaine de l’empire ottoman, on doit se défendre d’une double exagération. Si l’on en croit les uns l’empire ottoman est depuis dix ans à l’agonie, et il faut s’attendre à ce que chaque paquebot apporte la nouvelle de sa mort. Si l’on en croit les autres, il a surmonté la crise que menaçait son existence, et partout s’y manifestent les symptômes d’une vie nouvelle et d’un long avenir. J’ajoute que depuis quelques années beaucoup de voyageurs sont partis pour Constantinople avec la première de ces opinions, et qu’ils en sont revenus avec la seconde.

Est-ce une raison de donner gain de cause à celle-ci ? Je ne le pense pas. Quand on part pour Constantinople, on se figure quelquefois, sur la foi d’anciens livres, que l’on va tomber au milieu d’un peuple brutal, barbare, insociable. Au lieu de cela, on trouve un peuple qui plaît et qui impose par sa simplicité, par sa gravité, par sa dignité naturelle. Loin de subir aucune insulte, aucun mauvais traitement, on est accueilli avec bienveillance, avec urbanité.

De toutes parts d’ailleurs, par tous ceux qui habitent le pays, On entend vanter la probité des Turcs et leur droiture. Chez les rayahs au contraire, on découvre promptement, facilement quelques-uns des vices dont les populations esclaves n’ont jamais été exemptes. Il arrive alors que, par une réaction naturelle, on passe d’un extrême à l’extrême