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une ou plusieurs puissances jeunes, robustes, qui apportent un obstacle quelconque à sa supériorité commerciale et maritime. À tout prendre, la décrépitude de l’empire ottoman convient assez à l’Angleterre, et, si elle pouvait la maintenir, elle y serait disposée ; mais l’Angleterre ne croit plus à l’empire ottoman, et l’Angleterre est une puissance trop prévoyante pour vivre au jour le jour. On ne peut donc guère douter que ses idées ne soient arrêtées, que son plan ne soit fait. Ce plan ressemble-t-il à celui dont quelques journaux nous entretenaient récemment, et l’Angleterre consentirait-elle à livrer la Turquie d’Europe à la Russie moyennant quelques compensations en Égypte et en Syrie ? Il y a beaucoup de raisons d’en douter. Ce qui est évident, c’est que, tout en préférant le statu quo, l’Angleterre n’y croit pas ; ceux qui prennent intérêt à sa grandeur n’ont d’ailleurs aucune inquiétude à concevoir et peuvent pleinement s’en rapporter à elle.

Parmi les puissances européennes, I’Autriche est après la Russie celle dont la part paraît le plus facile à faire dans un démembrement de l’empire ottoman. Par la Bosnie, la Croatie, l’Herzégovine, la Turquie pénètre en effet comme un coin dans les états autrichiens, ne leur laissant, sur une longueur de près de 100 lieues, qu’une étroite langue de terre le long du littoral. Mais l’Autriche s’inquiète à la fois de l’extension qu’un tel évènement donnerait à la puissance russe, de l’effet qu’il produirait sur ses propres populations. Quand nous songeons aux dangers qui menacent la monarchie autrichienne, c’est toujours l’Italie que nous avons devant les yeux. Je crois que c’est une erreur. En Italie les dangers de la monarchie autrichienne sont plus apparens, plus bruyans qu’ailleurs ; ailleurs cependant ils pourraient bien être plus réels et plus profonds. La monarchie autrichienne, il ne faut pas l’oublier, est une pure mosaïque où l’élément allemand entre pour une quantité très faible (4 ou 5 sur 35) ; l’élément slave au contraire y est très considérable et très puissant (plus de 18 sur 35). Or, depuis quelques années, l’élément slave réagit fortement contre l’élément allemand et tend à s’en séparer. En même temps, on le sait, en Allemagne l’idée de la nationalité allemande gagne chaque jour du terrain, et ce n’est pas l’Autriche qui se trouve à la tête de cette nationalité. Entre le mouvement slave d’une part et le mouvement allemand de l’autre, la monarchie autrichienne se demande donc, avec quelque anxiété, quelle serait sa destinée, si jamais ces deux mouvemens éclataient à la fois, et si le mouvement italien venait les seconder. De là son horreur instinctive pour toute espèce de changement, pour