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est à juste titre fière de sa force, il est bon de rappeler, en citant le témoignage même de ses écrivains, que nous n’ignorons pas où est sa faiblesse.

« Vous ne croyez pas, disait M Sydney Smith en 1808 à ses compatriotes, vous ne croyez pas : que les Français puissent entrer dans notre île sacrée ! Parce que leur armée ne peut plus être aperçue du haut des falaises de Douvres, parce que le Morning-Post ne peut plus annoncer, comme à l’époque du camp de Boulogne, la grande invasion pour lundi ou pour mardi sans faute, le danger vous semble à jamais éloigné ! Gardez-vous de cette funeste sécurité ; tant que nous aurons à côté de nous une population disposée à se jeter dans les bras du premier conquérant venu, il suffira d’un revers pour nous abattre. Vous vous reposez avec confiance sur les solides murailles de bois qui défendent notre indépendance. A quoi tient cette sécurité ? Au caprice des vents et de la mer. Dans la dernière guerre (celle de la république), les vents, ces vieux alliés de l’Angleterre qui la servent sans subsides, ces vents sur lesquels nos ministres comptent autant pour sauver les royaumes que les blanchisseuses pour sécher leur linge, nous demeurèrent fidèles, et les Français ne purent pénétrer qu’en petit nombre. Mais avez-vous oublié avec quelle facilité nos ennemis parvinrent parfois à déjouer la vigilance de nos croisières ?… Vous répondez à toutes mes raisons que l’Angleterre ne peut être conquise. Pourquoi ? parce qu’il vous semble étrange qu’elle pût l’être. Ainsi raisonnaient, dans leur temps, les Plymleys d’Autriche, de Prusse et de Russie. Si les Anglais sont braves, les autres peuples ne le sont-ils pas ? Vous ne pouvez vous faire à l’idée de suites terribles d’une invasion, parce qu’il y a trois siècles qu’on n’a vu maraudeur étranger tuer un pourceau anglais sur une terre anglaise, et puis, la vieille édition des Grands Hommes de Plutarque n’a pas peu contribué à vous persuader follement que nous saurons nous conduire en Romains. J’en accepte l’augure, mais j’aime autant que l’évènement ne vienne pas mettre à l’épreuve tous ces Romains de hasard dont il nous faudrait ensuite récompenser l’héroïsme par des pensions très peu romaines. Quoi qu’il en soit, l’invasion de l’Irlande suffirait pour nous perdre ; si les Français y mettent le pied, toute la population de cette terre opprimée se soulèvera contre vous jusqu’au dernier homme, et vous ne survivrez pas trois ans à cette révolution. Si vous tardez encore à écouter les justes griefs de l’Irlande, il ne me paraît pas impossible aujourd’hui que l’Angleterre succombe, et, sachez-le bien, nous périrons sans éveiller le