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On assurera, d’après le rédacteur des Mémoires de mademoiselle Dumesnil, que « Préville, le plus achevé des comiques, n’a jamais analysé ni décomposé un rôle. » Cette assertion est démentie par un fait puisque Préville a laissé en manuscrit un plan et des notes pour un cours d’études dramatiques. Il faut d’ailleurs s’entendre sur les mots : l’apprentissage de la scène n’exige pas impérieusement le labeur du cabinet. Il y a des artistes heureusement doués et tellement dominés par leur art, que l’observation morale et la reproduction mimique passent chez eux à l’état d’habitude. Ils font poser tous ceux qu’ils rencontrent, et sont eux-mêmes toujours en scène : ceux-là travaillent sans s’en douter, et de la meilleure manière peut-être. Tel a dû être Préville, qui, sorti d’une bonne famille, et suffisamment instruit, fut jeté par un coup de tête dans les folles aventures, et, tour à tour maçon, colporteur, clerc de notaire et comédien ambulant, s’est rompu pour le théâtre par une assez rude pratique de la vie.

S’il était. Nécessaire de démontrer l’efficacité, du travail pour les acteurs, il suffirait de rappeler que les plus grands d’entre eux ont eu à vaincre des défauts naturels. La touchante Lecouvreur se présentait avec un organe sourd pour succéder à Mlle Duclos, dont le débit était sonore jusqu’à l’excès. L’habile tragédienne trouva de si pathétiques accens, qu’on adora sa voix étouffée, parce qu’on la croyait voilée par les larmes. Que d’art ne fallut-il pas à Clairon, la superbe reine, pour faire oublier sa petite taille, et ce joli minois de grisette qui l’avait désignée pour l’emploi des soubrettes ! La belle ame de Lekain avait une enveloppe épaisse dont le premier aspect était ignoble. Il fit des prodiges d’énergie pendant ses débuts de dix-sept mois qui ne furent qu’une longue tempête. A peine accepté, le succès, où tant d’artistes s’endorment, développa en lui une exaltation croissante. A l’exemple des grands peintres, ou plutôt grand peintre lui-même, il se transforma jusqu’à trois fois en changeant de manières. D’abord, pour trancher avec l’irréprochable majesté du beau Dufresne, il lâcha la bride à l’inspiration, et fascina le public par une véhémence indomptée. Il ne tarda pas à’ s’apercevoir comme a dit Talma, que « de toutes les monotonies, celle de la force est la plus insupportable. » En plein succès, il se condamna lui-même ; il éteignit sa fougue et enchaîna sa passion. Aux yeux de la foule, l’artiste paraissait faiblir ; il méditait, il essayait. Un jour vient où le volcan en travail se rallume. Pendant les cinq ou six dernières années de sa vie, Lekain est tellement sûr de lui-même, qu’il ne craint plus les écarts de l’inspiration. « Plus de cris, dit Talma avec l’accent