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heurté, haché, qui cessa d’être la langue des muses sans devenir pour cela plus naturel. Averti par son propre goût autant que par les avis des bons juges, il se modifia, et tout en conservant son horreur instinctive pour le mot déclamer, il se rapprocha de cette manière de dire qui a toujours été la grande, la vraie déclamation tragique. Sans accuser la fin du vers par une modulation banale, sans la marquer par une pose, il en articulait la dernière syllabe, de telle sorte que la rime conservait toute sa vertu. Quant au caractère de sa voix, s’il lui avait conservé la sécheresse de la conversation réelle, s’il ne lui avait pas communiqué une certaine puissance de vibration empruntée discrètement à la voix chantante, si ses intonations, bien que puisées dans la nature, n’avaient pas eu quelque chose d’une vague et fugitive mélodie, aurait-il osé dire, ainsi qu’il avait coutume dans la maturité de son talent : Je suis musicien, avant d’être acteur et poète ?

Chose remarquable ! le travail de l’acteur dans la composition de son débit ressemble par beaucoup de points au travail du musicien-compositeur. On donne à l’un et à l’autre des paroles mortes sur le papier, et ils doivent les ranimer en traçant un dessin mélodique, en enchaînant des rhythmes divers, en distribuant des repos, des éclats, des silences. Il est difficile de trouver l’accent vrai dans les mouvemens passionnés, bien plus difficile encore de trouver une accentuation intéressante dans les choses de détail. Il y a dans les longs récits, et surtout dans ceux des pièces en vers de notre ancien répertoire, des superfluités, des chevilles, du remplissage poétique. Prêter une intention, une portée dramatique à des passages faibles ou nuls, c’est encore un secret que ne se laissent pas dérober les acteurs de génie. Les uns glissent sur les longueurs avec une négligence spirituelle qui les atténue, les autres fascinent leur auditoire en suppléant par un jeu expressif à l’insignifiance des paroles. Quant aux sujets vulgaires, on peut leur appliquer avec une variante le mot de Figaro : ce qu’ils ne savent pas dire, ils le chantent, en retombant malgré eux dans la mélopée monotone qui a déconsidéré notre vers alexandrin.

Une autre difficulté, insurmontable pour celui qui n’est pas parfaitement sûr de son mécanisme vocal, est d’approprier sa diction au style de chaque poète. Tout écrivain dramatique de quelque valeur a une manière de phraser, des mouvemens, des accens qui lui sont propres, nuances indéfinissables : que l’exécutant doit, sentir et faire valoir. Si la mode est toute-puissante en musique, c’est que les musiciens, les plus paresseux de tous les artistes, s’en tiennent toujours au style du maître en faveur, sans prendre la peine d’approprier leur mécanisme