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aux compositions antérieures qui ont eu aussi leurs jours de gloire. Rendus avec des habitude qui en faussent le caractère, ces ouvrages des vieux maîtres ne peuvent plus soutenir la comparaison avec les productions récentes, de sorte que les exécutans et les auditeurs proclament toujours avec une entière bonne foi que leur époque a dit le dernier mot de l’art musical. Les acteurs voués au drame ou à la comédie ne peuvent pas rester dans une semblable illusion. Ils ont à faire des efforts sérieux pour mettre en relief les trésors-variés de leur répertoire. Mlle Clairon, dont le débit était imposant et soutenu, redoutait Corneille. Elle avait besoin, pour se mettre au niveau de ce fier génie, d’emprunter des artifices à l’art musical ? « Il est si grand ou si familier, disait-elle, que sans l’extrême sûreté des intonations, on court risque de paraître gigantesque ou trivial. » Le vers de Racine, dont on doit ménager la saveur poétique, exige une mélopée grave et insinuante, toujours imprégnée, comme il le recommandait lui-même de « cette tristesse majestueuse qui fait tout le plaisir de la tragédie. » Avec Voltaire, la véhémence est presque toujours préférable à la correction. Il y a, chez Casimir Delavigne, un mélange de vulgarité systématique et de pompe ranicienne, dont la transition est périlleuse. La difficulté a été surmontée par les acteurs de notre temps, et notamment par MM. Joanny et Ligier. Je ne sais. si M. Hugo, si prodigue d’éloges pour les artistes qui ont été ses inter- prêtes, confirme, in petto, les témoignages de satisfaction qu’il laisse tomber officiellement du haut de son trône poétique. Il me semble qu’en général il aurait doublement à se plaindre : on n’a pas toujours mis en relief ses qualités ; on n’a pas assez masqué ses défauts. Il eût été possible, j’imagine, de justifier ses élans lyriques par un ton plus grandiose, et ses ingénieux caprices par le charme d’un épanouissement plus naturel. Le rhythme tourmenté.et bizarre, qu’il recherche en haine du vieil alexandrin, n’a pas toujours eu sur la scène l’entrain dont il est susceptible. En somme, les comédiens comme les chanteurs de notre temps, ont à se plaindre, je crois, de rencontrer rarement des ouvrages bien écris pour les voix. Les jeunes écrivains qui ont fait preuve d’imagination et de style dans le roman échouent souvent au théâtre, parce qu’ils y transportent leur période à symétrie et à métaphores, tandis qu’il faudrait à l’acteur des phrases courtes, sonores, sobres d’images et d’un tour naturel sans vulgarité.