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III – DU GESTE

Après ce genre d’expression vocale que j’ai essayé de caractériser le drame idéalisé se distingue du drame prétendu réel par un genre d’expression mimique, large, puissante, harmonieuse, vraie sans doute, mais de cette vérité intelligente qui explique la nature plutôt qu’elle ne la copie. C’est ce qu’on définissait dans l’école par cette locution : avoir du style dans le geste. Obligé d’éclairer ma pensée par quelques réflexions générales, je crois devoir rassurer mon lecteur en promettant de ne pas m’aventurer jusqu’aux régions nébuleuses de l’esthétique.

Le geste (je comprends, sous ce mot, le marcher, le maintien, l’action corporelle, le jeu de la physionomie, et je pourrais ajouter l’exclamation inarticulée), le geste est le langage de l’instinct : c’est le moyen d’expression le plus énergique et le plus sincère. La parole est l’analyse de l’idée ou du sentiment et cette analyse peut être inintelligente ou menteuse. Le geste ne saurait mentir complètement celui qui parviendrait à fausser son masque trahirait l’imposture aux yeux d’un observateur exercé, par une inflexion en sens contraire de quelque partie de son corps. On sait fort bien dans le monde éminent que le geste est plus franc que la parole, et c’est dans la crainte de découvrir sa pensée qu’on y évite de gesticuler. Dans la vie commune, on ne se comprend le plus souvent que parce que la pantomime corrige et complète le décousu du colloque. Il n’est pas d’attitude, pas de remuement, qui ne corresponde à une sensation physique ou à un certain état de l’ame, et chaque évolution corporelle peut devenir un coup de pinceau dans la peinture d’un caractère. Je trouve la confirmation de ce principe dans une remarque de M. Saint Marc Girardin aussi judicieuse que finement énoncée : « Dans la statuaire grecque, dit-il, l’expression, loin d’être concentrée sur le visage, comme dans la statuaire moderne, est répandue sur tout le corps, et la nudité est pour les sculpteurs grecs, non pas une habitude empruntée au climat, puisque les Grecs étaient vêtus, mais une ressource de l’art pour mieux exprimer les idées et les sentimens des personnages, »

Il y a contestation entre les professeurs de déclamation pour savoir si le geste doit être pour l’élève l’objet d’une étude théorique, d’un exercice spécial. La gesticulation dramatique chez les anciens, nous l’avons remarqué précédemment, constituait, sous le nom d’orchestique,