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est, dans la doctrine de ce temps, l’expression exacte de ce fait d’expérience continuelle que l’homme vit et pense dans un système organique, qui n’est pas essentiellement la pensée ni la vie, ce que le vulgaire exprime en disant hardiment qu’il a un corps et une ame.

La nature humaine ne paraît donc pas rigoureusement simple. L’homme n’est pas un, disait Hippocrate ; il est double, disait saint Paul. En quoi consiste cette duplicité ? Est-elle substantielle, c’est dire l’homme est-il l’union de deux substances ? Est-elle seulement phénoménale, c’est-à-dire une seule substance présente-t-elle deux ordres de phénomènes qui se répondent entre eux, sans pouvoir se réduire les uns aux autres ? Question profonde, quoique sainement résolue par la croyance universelle ; question difficile, quoique peu douteuse, mais qui, pour la logique et l’expérience ; est postérieure à cette autre question : Quels sont les rapports du physique et du moral ou des phénomènes d’un ordre avec les phénomènes d’un autre ? Et c’est, à vrai dire, cette seconde question qu’annonce le titre de l’ouvrage de Cabanis, si bien qu’il aurait, à la rigueur, pu la résoudre sans s’expliquer sur la première. Mais il faut avouer que la question des rapports du physique et du moral ne saurait être indifférente au point de savoir ce que c’est essentiellement que le moral, ce que c’est en soi que le physique. Aussi, en étudiant spécialement les rapports, Cabanis n’a-t-il eu garde de s’interdire toute vue ultérieure, et de se refuser à toute recherche, ou du moins à toute conjecture touchant la valeur et la portée de cette duplicité exprimée par le mot de rapports, car si les rapports sont tels que les manifestations du moral aient toujours les organes pour cause immédiate, n’est-il pas tentant de conclure que le moral, étant l’effet du physique, est de même nature, d’après cette loi de l’expérience que l’effet est homogène à sa cause ?

L’affirmative sur cette question est assurément l’idée constante, bien que rarement explicite, de l’ouvrage de Cabanis, et cette idée est le fond de la doctrine qu’on est convenu de nommer le matérialisme, nom qui d’ailleurs n’est pas toujours exact, car parmi les partisans un peu pénétrans de cette doctrine, plus d’un, en niant la distinction de l’ame et du corps, est revenu sans trop s’en douter à l’idéalisme, et je ne sais si Cabanis lui-même y a toujours échappé. Mais enfin le public, qui n’entend pas finesse aux choses philosophiques, impute le matérialisme à quiconque veut que l’organisation soit tout l’homme. Or ce système, il faut bien en convenir, paraît assez naturel, dès qu’on admet que tout dans la pensée est au fond sensation. Ramener toutes