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les choses intellectuelles à un fait mixte qui implique nécessairement les causes externes et les phénomènes nerveux, c’est atténuer ou masquer la part des phénomènes propres de la conscience, c’est-à-dire tout ce qu’elle nous atteste, indépendamment des sens et de leurs objets, tout ce qu’il a d’interne dans l’homme, tout ce qu’il y a de purement intellectuel dans l’intelligence. De là on en vient vite au point d’abstraire tout-à-fait la conscience et de s’en débarrasser comme d’un témoin incommode. Toute l’intelligence est sensation, mais toute sensation n’est sensiblement qu’organisation, et le matérialisme est tout près d’être justifié. Je dis tout près, car, même poussé à cette extrémité, je ne me rendrais pas. Tout le monde sait comment Leibnitz restreignait la première maxime : Tout dans l’intelligence est sensation, excepté l’intelligence même. Pareillement je dirais : Tout dans la sensation est organisation, excepté la sensation même. L’acte de la sensation comme l’acte intelligent n’est constaté ou connu que par la conscience, l’un comme l’autre est un fait de conscience, et la conscience en soi n’a point d’organes. Il y a donc un moi inorganique, je veux dire qui n’est point organe, quoiqu’il puisse avoir des organes. C’est ce qu’exprime cette phrase vulgaire : L’homme a un corps.

La philosophie dite des sensations, quoique tendant au matérialisme, peut être ainsi ramenée au spiritualisme. C’est ce que ne nous contestera point M. Peisse, qui a tenté, par des recherches tout autrement approfondies, de renouer les liens entre la psychologie et la physiologie. A l’intelligence, à la sensation que témoigne la conscience, M. Peisse ajoute la vie. Il y a, selon lui, une conscience de la vie qui n’est celle d’aucun acte intellectuel ou sensitif particulier ; et sur cette observation qu’il rend neuve en la rendant féconde, il a fondé, lui aussi, une théorie des rapports du physique et du moral qui se laisse apercevoir dans son introduction à celle de Cabanis et que nous sommes impatiens de lui voir développer dans un ouvrage dès long-temps promis.

Mais notre point de vue, mais le sien, n’étaient pas le point de vue de Cabanis. Regardant l’étude du moi interne comme à peu près achevée par Locke et Condillac, il laissait à Tracy le soin de la terminer et de lui donner sa dernière forme sous le nom d’idéologie. Puis prenant l’idéologie comme une science faite, comme une chose convenue, il se plaçait en dehors, et il étudiait le moi organique dans celles de ses fonctions et de ses affections qui paraissent donner naissance à des phénomènes du moi moral. À ce point de vue, l’organisme est