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avec lesquels la nature paraît les avoir indissolublement unis. Comment, en effet, exclure ce peuple qui habite au centre même du pays, au bord du grand fleuve de l’Illyrie, avec Pesth pour capitale ? C’était se mutiler soi-même. Aussi, du moment que les Maghyars purent supposer chez les patriotes croates l’intention, même la plus vague, de se séparer d’eux pour former un empire à part, une grande Illyrie slave, un choc terrible entre les deux races fut imminent. Pour la race maghyare, cette séparation eût été le coup de la mort. Elle, si ambitieuse dans ses projets, mais restreinte à un si petit nombre d’hommes, comment pourrait-elle, séparée des Slaves, atteindre, les destinées qu’elle rêve ? Comment se maintiendrait-elle souveraine en face de l’Allemagne qui l’écrase et de la Russie qui la menace ? Ce noble Maghyar, si justement fier des magnifiques privilèges qu’il a su conserver et défendre, en dépit des maîtres allemands de la Hongrie, ne devait-il pas être indigné en voyant son compatriote le Slave repousser avec dédain des institutions hongroises, pour se tourner vers ces Ilires qui sont de pauvres opprimés, enclaves dans les états héréditaires des Habsbourg ? On pouvait prévoir que l’aristocratie souveraine des Maghyars chercherait à s’assurer par des mesures légales l’ascendant politique ; c’est ce qu’a prouvé la diète dernière. Quant à ce que les magnats appellent la maghyarisation des Slaves, ce coup d’état, cru nécessaire pour effrayer le parti dit illyrien, est d’une exécution aussi impossible que l’était chez les Slaves la pensée de se séparer des Maghyars. L’exagération du patriotisme a jeté les uns et les autres dans l’extrême ; une seule chose restera vraie, c’est que la Hongrie est à la fois maghyare et slave.

Le Maghyar doit donc renoncer à persécuter les Slaves ; sa vaste ambition lui prescrit elle-même une conduite fraternelle vis-à-vis des autres Illyriens. Ils sont passés, ces temps de conquête brutale qui voyaient une horde de Turcs ou de Huns partis de la steppe subjuguer d’immenses populations. S’il s’aliène les Slaves et les pousse à se retrancher dans leurs inaccessibles montagnes, le Maghyar se trouvera réduit à un petit et impuissant royaume. Veut-on rendre la Hongrie de plus en plus imposante, qu’on la maintienne fédérale ; qu’elle cesse de s’appeler orszak (royaume maghyar) ; qu’elle devienne un état slavo-maghyar, c’est-à-dire que la souveraineté y soit justement répartie entre les deux races. A cette condition, la Hongrie doit finir par attirer à elle et par s’associer tous les peuples de cette Grande-Illyrje, dont l’avenir pend, comme un glaive de Damoclès, sur l’Autriche aussi bien que sur la Turquie. Quoique bien plus