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réflexions judicieuses que l’auteur sème à propos et avec un certain charme, quoiqu’il ne se pique pas d’être un écrivain de profession, ni même un bon écrivain. Institutions, finances, commerce, marine, état militaire, rien n’est omis. Les mouvemens du port de Londres, les richesse de la compagnie des jades, les usages de la Cité, les clubs, les meetings, John Bull, jusqu’aux cottages, on trouve tout dans les deux volumes du Voyageur solitaire, et les renseignemens exacts sont toujours précédés ou accompagnés d’idées utiles, sérieuses, qui laissent deviner un esprit pratique, un homme qui sans doute a touché de près aux affaires. Les journaux, comme on le pense, occupent une place dans les souvenirs du Voyageur, et ce que je remarque surtout dans ce tableau de la presse britannique, c’est qu’il y a des journaux qui ne vivent qu’en spéculant sur le scandale. À notre honneur, pareille chose n’existe pas encore chez nous, et si quelques tentatives ont été faites en ce genre, elles sont bientôt tombées sous le mépris public. À Londres, une feuille a osé s’intituler Criminal conversations Gazette ; elle met à prix se services ; elle parle ou se tait pour de l’argent, et pour dix guinées déshonore une femme et trouble à jamais le repos d’un honnête homme. On se souvient que M. Bulwer a mis en scène, sous le nom de Sneak (reptile), un folliculaire de cette trempe. Par bonheur, les forbans sont rares parmi les sept cents journalistes qui fleurissent sur le pavé de Londres, et dont un grand nombre, dit notre guide, ne savent pas la veille pour quelle entreprise ils travailleront le lendemain, absolument comme nos romanciers-feuilletonistes. En attendant, l’Angleterre est à son apogée ; l’industrie y multiplie ses prodiges, la puissance matérielle de l’homme y atteint ses dernières limites, et s’y développe dans des proportions inconnues. Jamais on n’assista à un plus étonnant spectacle ; mais il me semble cependant que ce spectacle, qui frappe et captive d’abord, doit finir par attrister, et qu’après avoir vu un peuple qui se rue sur le monde extérieur et borne ses triomphes à se jouer de la matière, on doit être heureux de rencontrer sur ses pas quelque touchant exemple de vie intime et de grandeur morale.

La grandeur morale ! il ne faut pas la chercher autour de nous ; nous courrions risque de ne pas la trouver, car tout se rapetisse étrangement. Pour rencontrer les ames fortes et grandes unies à de hautes intelligences, il faut remonter d’un siècle et demi ; alors on n’a qu’à choisir vraiment, les belles ames sont partout : il y en a dans des palais, il y en a à Port-Royal des Champs. C’est là qu’était Jacqueline Pascal, la sœur de l’auteur des Pensées, jusqu’à présent ensevelie dans l’ombre et le silence, et dont M. Cousin vient de se faire l’historien éloquent. On sait le service qu’il a rendu au frère ; il la rétabli tout entier dans ses débris immortels. Aujourd’hui, il sauve la sœur de l’oubli. M. Cousin est l’exécuteur testamentaire des Pascal. Avec quelle ardeur sérieuse il poursuit son œuvre ! et comme il réussit à attirer l’intérêt sur la figure de son héroïne, de même que, dès le premier moment, il alluma le feu autour des Pensées ! L’éloquence agite toujours et souvent