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entraîne. Jacqueline Pascal ne sera plus séparée de son frère, et leurs mémoires vont être unis comme le furent leurs cœurs.

On connaît l’enfance de Pascal ; celle de sa sœur ne fut pas moins extraordinaire. A huit ans, elle faisait des vers ; onze ans, elle composait une comédie en cinq actes ; à quatorze ans, elle remportait le prix de Poésie à Rouen. Quand son nom fut proclamé, elle était absente ; mais un ami de la maison se leva au nom de la jeune Jacqueline pour remercier l’assemblée : c’était Corneille. Dans un âge très tendre, comme la muse Poussait Jacqueline de tous côtés, elle se prit un jour à rimer une idylle où un berger disait à sa bergère, en refrain :

Je vous aime bien plus, sans doute, que ma vie.


Elle préludait ainsi aux austérités du cloître, comme Rancé en traduisant Anacréon. Elle était belle et fort recherchée dans le monde. Lorsque la petite vérole eut laissé des traces, elle ne fut pas moins aimée, et elle-même plaisantait de l’accident avec un enjouement plein de grace. Toujours fort pieuse, elle laissa sa dévotion croître de plus en plus, et, vers sa vingt et unième année, elle rompit avec le monde, tomba dans une dévotion absolue, et renonça même aux consolations de la poésie, sur le conseil de la mère Agnès, qui lui écrivait : C’est un talent dont Dieu ne vous demandera point compte, il faut l’ensevelir. Enfin, à vingt-sept ans, elle prit l’habit religieux à Port-Royal, où elle vécut en véritable sainte, répandant des lumières et des vertus jusqu’à l’âge de trente-six ans.

Telle est, en deux mots, la vie de Jacqueline Pascal, et cette existence n’a pour nous un prix si élevé que parce que nous savons à n’en pas douter, d’après le récit sincère de sa sœur Gilberte, d’après ses lettres, d’après tout ce que M. Cousin a recueilli avec tant de soin sur son compte, que Jacqueline était une haute intelligence et une ame de forte trempe. Cela ressort admirablement du livre de M. Cousin, lorsqu’elle parle elle-même, et lorsque le philosophe prend la parole, comme un chœur grave et doux, pour achever la pensée et donner le mot. M. Cousin déploie à ce jeu un art charmant ; mais, à la fin, il s’élève à une grande hauteur, lorsqu’il veut tirer la moralité profonde de son récit, et que, s’adressant à Pascal et à sa sœur, qu’il admire plus que personne, il leur déclare qu’ils n’ont pas compris la vie humaine, avec une fermeté de langage et un style qu’ils reconnaîtraient, car M. Cousin est presque leur contemporain par la plume. D’ailleurs, son talent n’a jamais été en meilleure position ; son style, sans rien perdre de sa noblesse et de son ampleur, devient pénétrant : il s’anime de plus en plus, et annonce une maturité généreuse et féconde de l’imagination qu’il faudrait fixer en belles œuvres.

Le vent est à Port-Royal, et ce retour vers les stoïciens du catholicisme est dû en grande partie au beau livre de M. Sainte-Beuve. Quelques jours avant que Jacqueline Pascal sortît de son tombeau, un vieil ami de son frère et le sien, Nicole, avait fait une apparition au milieu de nous, allégeant son bagage