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et n’apportant que le meilleur de son esprit. Certes, Nicole est un des plus grands noms de Port-Royal. « Nous perdons Nicole, écrivait Mme de Sévigné, c’était le dernier des Romans. – Lisez Nicole, disait-elle ; ce livre est de la même étoffe que Pascal. » N’en déplaise à Mme de Sévigné, elle se trompe sur la qualité de l’étoffe, Nicole est un Pascal, si l’on veut, mais un Pascal qui écrit sur une cire molle, tandis que l’autre grave sur du marbre. Et voilà bien la différence que le style établit entre deux hommes ; l’un laisse des lambeaux, de quoi faire un volume tout au plus, et il est immortel, il est lu et relu, parce que la magicienne a passé par-là ; l’autre laisse plus de trente volumes composés avec un soin scrupuleux, et la postérité ne soulève pas la première page ; quelques curieux seulement s’aventurent, prennent l’air du lieu et rebroussent chemin sans aller jusqu’au bout. Ce n’est pourtant pas un esprit ordinaire, et plus d’une fois il a appliqué au beau milieu du visage de l’homme, l’éclairant tout entier, sa lanterne de moraliste. Esprit souple, ingénieux, plein de bon sens, il n’a pas de vocation prononcée, et, à vrai dire, c’est là le défaut de la cuirasse ; mais comme il supplée à la vocation autant que possible, comme, à force de zèle et d’intelligence ; il accomplit la rude mission qu’on lui confie sans le consulter ! Il était peu partisan des luttes, et il a passé sa vie à combattre ; il était doux, accommodant, jusqu’à se soumettre l’énergie et même de la rudesse. Les Lettres à un Visionnaire ne brillent pas par la modération ; ce pauvre abbé Saint-Sorlin, avec ses romans, ses comédies, et son Traité sur l’Apocalypse, y est malmené ; il est traité d’empoisonneur public en sa qualité de dramaturge. Le coup porta plus loin que Saint-Sorlin, il alla frapper Racine, qui le prit pour lui, et rompit avec Port-Royal.

Le choix des écrits de Nicole qu’on vient de publier en un volume est fait avec soin et connaissance de cause. Qui lirait attentivement ce volume saurait à peu près son Nicole. Les Pensées sont justes, quelquefois profondes, il ne leur manque que le tour original, et ce tour, elles l’ont quelquefois, par hasard, dans un membre de phrase qui se trouve au commencement ou au milieu, et qu’il faudrait extraire et mettre en saillie « Il y a des personnes qui ont des ébullitions d’esprit, comme il y en a qui ont des ébullitions de sang, c’est-à-dire que leur esprit paraît partout. — Il y a des gens qui cavent ce qu’ils manient. » Ce n’est pas Nicole. « L’éloquence ne doit pas seulement causer un sentiment de plaisir, mais elle doit laisser le dard dans le cœur. » Cela est bien dit, mais Nicole donne le précepte et ne le suit pas, il ne laisse jamais le dard.

Il est bien de faire revivre Port-Royal et de renouer connaissance avec ces nobles solitaires qui s’égaraient avec tant de vertu et de génie, mais il ne serait guère raisonnable de les imiter et de prêcher comme eux le renoncement absolu. M. Cousin vient de le dire avec une conviction pleine d’autorité ; une jeune femme du monde pense le contraire, elle emploie un véritable talent a soutenir, à propager le renoncement au monde, et, quoique dans une autre