Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 8.djvu/566

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

deux peuples qui se portent une estime et une affection réciproques qui ont posé leurs épées après des luttes sanglantes où ils ont appris à s’honorer l’un l’autre, qui veulent maintenant la paix, nécessaire à leur grandeur et au repos de l’humanité. A la tête de ces deux peuples, voilà deux souverains sincèrement unis, qui proclament leur intimité à la face de l’Europe. Que fait le ministère du 29 octobre ? Va-t-il inaugurer avec le cabinet anglais un grand système, une grande politique fondés sur l’intérêt commun des deux pays ? Non. Il se rapproche à la vérité du cabinet anglais, il s’accorde avec lui, il sollicite même cet accord avec un empressement extraordinaire ; mais c’est uniquement pour obtenir de lui qu’il vienne en aide à ses intérêts ministériels. Les deux cabinets s’entendent ; mais c’est tout simplement pour se prêter secours dans leurs luttes avec des majorités inquiètes et flottantes. Tous les moyens sont mis en œuvre vers ce but. La presse ministérielle de Londres fait l’éloge du ministère français, la presse ministérielle de Paris fait l’éloge du ministère anglais. A Londres, soit à la tribune, soit dans la presse, M. Guizot est le plus grand des hommes d’état ; à Paris, les journaux et la tribune rendent à sir Robert Peel cet adroit compliment. Pour exalter le mérite des deux ministres, et pour les rendre nécessaires l’un et l’autre, on invente des difficultés qui n’existent pas ; au risque de créer des périls sérieux, on invente des périls imaginaires. On fausse les sentimens des deux pays, on dénature leur situation respective. A Londres, on dit que M. Guizot, qui veut la paix,. se trouve aux prises avec un formidable parti qui veut la guerre, et à Paris on nous représente sir Robert Peel comme faisant d’héroïques efforts pour retenir le lion britannique. On apporte aux deux tribunes des documens concertés dans le but d’accréditer ces déplorables erreurs. On entretient deux correspondances : l’une secrète, c’est celle de la véritable entente cordiale, qui consiste à préparer les meilleurs moyens de soutenir simultanément les deux cabinets ; l’autre publique, c’est celle où l’on parle un langage convenu, arrêté d’avance, où l’on donne le change aux deux pays, et où les grands intérêts qui se rattachent à la communauté des deux peuples sont sacrifiés à des expédiens vulgaires. Voilà ce qu’on a appelé l’entente cordiale ; voilà cette politique de la paix que M. Guizot a célébrée tant de fois devant les chambres : paix stérile, alliance mensongère où les peuples, abusés sur leurs sentimens réciproques, égarés par de coupables manœuvres, auraient pu en venir aux mains, si leur sagesse ne les avait pas éclairés ; politique égoïste qui aurait pu devenir funeste, si des démonstrations populaires n’avaient déchiré le voile dont elle cherchait à se couvrir aux yeux des deux pays.

Tout l’effort du ministère français, dans les embarras de sa politique, a été de persuader aux chambres que l’Angleterre est irritable, et que ses intérêts, comme ses sentimens, la poussent à la guerre. On lui a dit cent fois : Mais s’il en est ainsi, qu’avez-vous, donc été faire à Taïti, où l’intérêt de la France est nul, et où les intérêts anglais peuvent devenir si exigeans ? Voulez-vous