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à tous ces anathèmes. C’est une excellente polémique que l’action du temps. Nous ne prétendons pas que la réponse soit complète, car à nos yeux, la civilisation sortie de la réflexion et de la philosophie moderne est jeune et non pas décrépite. Aussi là où plusieurs signalent d’irréparables naufrages, nous ne voyons que des chutes dont on se relève. Seulement ni les malédictions des uns, ni l’impatience des autres, ne sauraient retarder, ou accélérer d’un jour la course marquée du genre humain.

Quand un livre a reçu l’empreinte profonde des passions de l’époque où il a été conçu, il offre un intérêt puissant qui le fait vivre. L’ouvrage de M. de Bonald a ce mérite avec plusieurs autres. Théoricien vigoureux, l’auteur anime ses abstractions par l’ardeur de ses sentimens. C’est en face de la démocratie, triomphante qu’il célèbre les vieilles institutions et en tire tout un système ; au fanatisme républicain il oppose le culte monarchique avec audace, avec enthousiasme : exaltation généreuse, car elle avait ses périls. Lorsque plus tard, sous l’empire et sous la restauration, M. de Bonald développera les mêmes opinions et les mêmes théories, il n’aura plus cette impétuosité originale. La Théorie du Pouvoir, le premier en date, des ouvrages de M. de Bonald, doit prendre et garder son rang à la tête de ses œuvres. Elle est supérieure à la Législation primitive ; elle est écrite avec autant de logique, avec moins de sécheresse, avec plus de mouvement et de passion. La Législation primitive n’est, sous beaucoup de rapports, qu’une transformation de la Théorie du Pouvoir. Nous préférons la première forme, où la pensée de l’écrivain, son énergie, ses exagérations, ses injustices sur les hommes et sur les choses, ont un caractère plus naturel et plus naïf. Plus tard, le style de M. de Bonald sera souvent dur et terne. Ici, plus flexible même dans ses violences, il a en maint endroit un éclat qui est le reflet et la récompense des convictions inflexibles et ardentes dont était possédé l’écrivain.

C’était pendant les deux premières années du directoire que M. de Bonald et M. de Maistre se plaçaient comme des chefs, comme des maîtres, à la tête de la presse royaliste, et lui imprimaient un caractère d’élévation philosophique. A peu près à la même époque, des talens inférieurs, comme l’abbé Barruel[1] et le comte Ferrand[2],

  1. Histoire du Jacobinisme.
  2. Il préludait par quelques brochures politiques à l’Esprit de l’Histoire, qui parut en 1809, et à la Théorie des Révolutions, qui fut publiée en 1817.