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le talent de M. de Bonald faiblissait ; c’était dans le Conservateur qu’il avait jeté son dernier éclat. Quand à M. De Lamennais, comment le ranger parmi les défenseurs de la monarchie des Bourbons, lui qui écrivait en 1825 : « « Qu’est-ce que la religion pour le gouvernement ? que doit être à ses yeux le christianisme ? Il est triste de le dire, une institution formellement opposée aux siennes, à ses principes, à ses maximes, un ennemi… L’état a ses doctrines, la religion a ses doctrines essentiellement opposées… Il y a donc entre elle et l’état une guerre continuelle…[1]. » Étrange langage dans la bouche d’un soutien de la monarchie ! M. de Lamennais était un ligueur qu’on prenait pour un royaliste, et, en vérité, ce n’était pas sa faute, car l’éloquent écrivain, si extrême alors dans son zèle pour la théocratie romaine, ne déguisait ni ses sentimens ni ses théories. Il y eut un moment où dans la presse monarchique on eut cherché en vain des royalistes considérables par leur talent et leur renommée. C’est ce dénûment si triste que signalait M. de Chateaubriand quand il s’écriait avec une amertume qui montrait un cœur profondément blessé : « On enrôle, pour soutenir un ministère royaliste (celui de M. de Villèle), des libellistes qui ont poursuivi la famille royale de leurs calomnies. On recrute tout ce qui a servi dans l’ancienne police et dans l’antichambre impériale, comme chez nos voisins, lorsqu’on veut se procurer des matelots, on fait la presse dans les tavernes et les lieux suspects. Ces chiournes d’écrivains libres sont embarqués dans cinq à six journaux achetés, et ce qu’ils disent s’appelle l’opinion publique chez les ministres ! » Voilà quel terrible usage faisait de la liberté de la presse l’ancien collègue de M. de Villèle ; ni Benjamin Constant, ni Paul-Louis Courier, n’étaient si implacables ; ils n’avaient pas été ministres.

Le gouvernement des Bourbons alla de maladresse en maladresse jusqu’à la plus folle des témérités. « Jeune homme, dit à la journée des Dunes le grand Condé au duc de Glocester, vous n’avez jamais vu perdre de bataille ? Eh bien ! vous allez le voir. » Les hommes vieillis dans les catastrophes politiques ont pu dire aussi en 1829 aux genérations nouvelles : Jeunes gens, vous n’avez jamais vu crouler de monarchie ? Vous aurez bientôt ce spectacle. Enseignement qui préservera les héritiers de la restauration des mêmes fautes et de la même destinée.

En 1830 comme en 1789, les écrivains royalistes furent surpris par une soudaine tempête, et peut-être le coup fut plus grand encore,

  1. De la Religion considérées dans ses rapports avec l’ordre politique et civil.