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maintenir. Il faut substituer des droits modérés qui, décourageant la fraude et attirant tous les grands peuples de la terre, prouveraient à l’empereur que son trésor peut mieux se trouver des progrès de la civilisation européenne que des exactions et des avanies épuisantes de la barbarie ; il faut détruire le monopole qui ruine les populations par les traitans juifs, les juifs par les pachas les pachas par le sultan ; à cette civilisation il faut ménager l’accès de Fez, de Maroc, de Méquinez et de toutes les autres villes de l’intérieur, d’où elle puisse rayonner a son aise et s’étendre jusqu’aux plus hautes vallées des Shilogs et des Amazirgas, jusqu’aux douairs reculés de Sus et de Wadnoon. Le commerce y importera nos mœurs ; nos mœurs y introduiront nos idées et nos principes ; nos idées, à leur tour, se chargeront d’y réformer les institutions. Pourquoi ne pas espérer qu’un jour races dominantes races nomades, races proscrites, en ce moment divisées par des antipathies séculaires, finiront par se fixer, par se rapprocher et s’entendre ? Si du Maroc ouvert à l’influence européenne on regarde au loin à travers l’Afrique centrale, quels horizons magnifiques se laissent entrevoir, et de proche en proche s’agrandissent pour la civilisation ! Du fond de leurs solitudes orientales, les Arabes se sentirent autrefois invinciblement attirés vers le fécond Magreb-el-Aksa, comme nous-mêmes aujourd’hui de nos régions du nord. Ils en firent un boulevard pour leurs conquêtes passé, un quartier-général d’où ils devaient s’élancer aux conquêtes futures Puisqu’un tel point d’appui leur a donné la force d’envahir les plus belles contrées de l’Europe méridionale, où ils ont tant amoncelé de ruines, pourquoi l’Europe ne s’en servirait-elle point, à son tour, pour pénétrer plus avant dans cet Orient mystérieux, où il en faut tant relever ?

Peut-on dire qu’on s’est proposé un tel but, en signant si précipitamment la paix avec le Maroc ? Pour la France comme pour l’Europe, cette paix ne stipule aucun avantage réel ; elle ne modifie point, elle ne rend ni meilleures ni plus sûres nos relations avec le pays maure ; elle nous replace à peu près dans la situation où nous étions vis-à-vis du sultan africain, non-seulement avant le bombardement de Tanger, non-seulement avant l’occupation de l’Algérie, mais à la fin du dernier siècle, à l’époque où les premières conventions ont été arrêtées entre la France et le Maroc. En cette question, pas plus qu’en toutes celles qui s’agitent dans le monde et qui sollicitent la France à une noble initiative, on ne s’est inquiété ni de grands résultats politiques, ni de conquêtes commerciales. Pourtant, après nos succès de Tanger, de l’Isly, de Mogador, l’occasion était belle de réparer les échecs qu’a subis la politique extérieure de la France en ces dernières années. En livrant le Maroc au commerce européen, en stipulant pour toutes les nations chrétiennes, on pouvait peut-être entraîner l’Angleterre à sa suite. Mais on a manqué de la prévoyance de l’homme d’état avant comme après la lutte, on n’a vue que les petites difficultés du moment, et, pour s’être volontairement engagé à n’occuper aucun point du territoire marocain, on s’est privé des moyens de tirer parti d’une situation qui ne se retrouvera plus. Il n’y a cependant que deux puissances