Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 8.djvu/69

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

au monde, la France et l’Angleterre, capables d’ouvrir le Maroc ; on peut être sûr que la Grande-Bretagne ne s’exposera plus à être devancée. Elle-même n’interprétera-t-elle pas notre prompte retraite comme un abandon non-seulement des marchés maures et arabes, mais de ceux de l’Afrique centrale, qui sont d’une si haute importance pour l’avenir de nos possessions algériennes ? N’est-on l’intime allié de l’Angleterre qu’à la condition de ne pas la suivre dans ses grandes résolutions ? Préfère-t-on imiter l’Espagne, qui, en négligeant Ceuta et ses autres établissemens des côtes méditerranéennes, se désintéresse trop facilement aussi dans ce beau pays où elle a autrefois dominé ? On ne comprend pas, en effet, l’incurie de l’Espagne, quand on pense que Ceuta est située presque en face de Gibraltar ; du jour où les Anglais seront entrés dans Ceuta, Gibraltar deviendra pour jamais inexpugnable ; le blocus maritime, qui à la longue le réduirait par famine, sera dès-lors tout-à-fait impossible. Ce qu’il y a d’étrange, c’est que l’Espagne, qui d’aucune façon ne cherche à conjurer ces éventualités menaçantes, voit pourtant le péril ; c’est un de ces écrivains, dont Serafin Calderon, qui nous montre combien il est grand, combien il est proche ; c’est M. Calderon qui se charge de nous dire dans quelles vues l’Angleterre se proposait, il y a vingt-cinq ans, de jeter une colonie d’Irlandais entre Tétuan et Ceuta. Depuis vingt-cinq ans, c’est encore M. Calderon qui l’affirme, l’Angleterre n’a pas cessé un instant de songer à la réalisation d’un tel projet, et il est évident qu’aujourd’hui elle doit être moins que jamais d’humeur à y renoncer. Par la réelle importance que la race irlandaise s’est acquise aux États-Unis, on sait combien elle est prompte à se naturaliser, à se créer des intérêts nombreux et vivaces partout où l’on veut bien lui accorder sa part du sol. Il y a mieux encore : l’Irlandais est catholique ; soyez certains qu’en Afrique, il se sera bientôt lié par des relations étroites, dont l’Angleterre fera son profit, avec les habitans de Ceuta qui, vis-à-vis de leur métropole, se considèrent, ou peu s’en faut, comme des étrangers. Que les hommes d’état et les publicistes de Madrid y pensent bien : dans leurs journaux, dans leurs livres, à la tribune de leurs cortès, ils rappellent avec orgueil que, sous la domination romaine, le Maroc a porté à nom d’Espagne transfrétane ; ils rappellent que les Wisigoths, leurs ancêtres, ont possédé Fez, Méquinez et la plupart des villes de l’intérieur. Assurément, c’est là un orgueil fort légitime ; ils feraient mieux, cependant, de ne pas remonter si haut dans leur histoire : qu’ils se souviennent suelement qu’en 1704 les Anglais leur ont enlevé Gibraltar. Malheureusement il est à craindre que la solution incomplète donnée par la France à la question du Maroc n’encourage l’Angleterre à poursuivre ses plans, — sans réveiller l’esprit politique de l’Espagne sur ses intérêts africains.


XAVIER DURRIEU.