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le plus favorisé est Manoel de Sousa de Sepulveda. L’Amour lui-même a blessé en sa faveur le cœur de la fière Portugaise ; mais le père de Lianor a pris d’autres engagemens pour sa charmante fille ; il l’a promise à un riche et puissant personnage, à dom Luis Falcâo, gouverneur de Din. Sousa a beau réclamer, au non de la loi divine, la main de celle qui lui a donné son cœur ; Lianor a beau embrasser en rougissant les genoux de son père le vieux Garcia de Sa est inflexible : il a engagé sa parole à Luis Falcâo, il la tiendra. Les larmes et la confusion de la jeune fille sont peintes par le poète avec une grace qui ne peut que bien difficilement passer dans une traduction. « Ses yeux laissent échapper des larmes qui, roulant sur ses joues d’albâtre, ajoutent encore, s’il est possible, à sa beauté. Ainsi, par une matinée d’avril, on voit souvent la rose empourprée étaler son calice odorant rempli d’une ondée légère, d’une céleste rosée qu’y a déposée la nuit froide et humide ; les gouttes cristallines recueillies par la feuille, embaumée et vermeille ressemblent à des perles transparentes qui embellissent la fleur d’un charme nouveau. »

Le vieux Garcia entoure sa fille d’actifs surveillans, afin d’empêcher toute communication entre elle et Manoel de Sousa ; mais, comme le remarque spirituellement le poète, « bien puissante est la cupidité : tours ni murailles, il n’est rien que l’or n’escalade. » Les mille argus qui ont sans cesse les yeux ouverts sur Lianor ne peuvent empêcher de parvenir jusqu’à la captive celle qui, les mains pleines de dons, apporte la lettre attendue. Non, jamais la mère qui a déjà pleuré la mort de son fils, et qui, en pénétrant dans l’appartement fatal qu’attriste l’absence de son enfant, le retrouve le front riant et radieux, ne sentit son cœur inondé d’une joie semblable à celle qu’éprouve Lianor en recevant la lettre des mains de la confidente. Cette longue lettre de l’amant et la réponse de la maîtresse, que leur étendue m’empêche de transcrire, sont deux charmans morceaux, composés en tercets rimés, qui rappellent les plus fraîches poésies d’amour de Boscan et de Camoens. Sousa, en voyant une aussi persévérante fidélité dans un sexe si enclin au changement, se regarde, avec raison, comme le plus fortuné des hommes ; mais par quels moyens pourra-t-il vaincre les résolutions de ce père obstiné ? Rien ne lui paraît possible tant que son rival verra le jour. Malheur donc à Luis Falcâo !

Ici va commencer l’emploi de ces machines épiques qui nous semblent aujourd’hui si froides et si choquantes, et qui paraissaient ingénieuses et poétiques au XVIe siècle. Une mort violente, un assassinat, dont la rumeur publique accusa Manoel de Sousa, délivre les deux