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amans de l’obstacle qui s’opposait à leur bonheur. On peut lire dans l’histoire de l’Inde de Diogo do Couto[1], sous la date de 1548, comment, un soir d’été, le gouverneur de la citadelle de Diu, assis dans son cabinet dont la porte était entr’ouverte, ayant sur ses genoux un jeune enfant (son fils naturel), tomba frappé mortellement d’un coup de feu tiré du dehors, sans qu’on ait pu découvrir qui avait été le meurtrier. Pour voiler cette partie délicate de son sujet, Corte Real suppose, à la manière des épiques latins, que l’Amour a décidé la perte de Luis Falcâo. Par le conseil de Vénus, il vole avec son frère, Anteros, dans l’île de la Vengeance où réside Rhamnusie. Ce voyage donne occasion au poète de placer ici. Une digression assez fastidieuse sur la géographie du globe. Après avoir obtenu de Rhamnusie l’assistance de la haine, de la Colère et de la Détermination, cette déesse à double visage, dont l’un est héroïque et l’autre atroce, ils retournent à Paphos, où Vénus a disposé pour son fils un foudre que lui a donné Vulcain ; Antéros court à Diu, où il tue Luis Falcâo, à la stupéfaction de l’Inde entière. Dans le récit du meurtre et dans la peinture du désordre qui en est la suite, le poète retrouve la vivacité de couleurs et la naïveté de, touche qui sont l’heureux caractère de son talent :

« Messagère de la mort, la foudre part et fend les airs en sifflant ; elle atteint le cœur libre et calme de Falcâo ; elle pénètre à l’endroit d’où l’ame peut le plus facilement sortir. Laissant les entrailles déchirées, elle traverse les côtes et disparaît sans avoir été aperçue. Le noble Falcâo tombe, il pousse un lugubre gémissement, il veut en vain parler : la mort a rompu les liens du corps, et l’ame prisonnière est délivrée. Ce grand désastre est aussitôt connu ; les esclaves et les serviteurs de Falcâo accourent fondant en larmes. Tout à coup s’élèvent mille clameurs ; des cris lamentables fendent les airs ; dans toute la forteresse se répand le bruit de cet événement épouvantable. Le peuple, consterné, à la nouvelle de ce grand et soudain malheur, afflue de toutes parts. Là viennent à la hâte les amis de Falcâo, qui, par leurs larmes, font éclater le chagrin qu’ils ressentent. Les portes s’ouvrent ; une multitude de tout âge, de tout sexe, se précipite. Les braves soldats exaspérés, arrivent bouillonnant de fureur, munis de leurs armes, et tous, en contemplant le cadavre étendu, baigné dans son sang, crient vengeance. Déjà des flambeaux, des torches enflammées répandent partout la lumière ; dans les recoins les plus cachés, on

  1. Voyez Décade VI, lig. VII, cap. 2.