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Angleterre même, parler avec dédain de ces gens qui aliènent leur liberté pour si peu, et justifier par là le maintien de pénalités militaires qui révolteraient nos soldats. Peut-être serait-il plus juste de ne voir dans la modération de la prime qu’une preuve que les coups de fouet, s’il faut appeler les choses par leur nom, sont distribués aux soldats anglais avec une sage économie, et que les châtimens corporels ne répugnent pas au caractère de la nation ; les étrangers seraient dès-lors très mal venus d’y trouver à redire ; la femme de Sganarelle n’entendait pas qu’on lui contestât le droit d’être battue par son mari. Le prolétariat étant d’ailleurs la condition commune du peuple anglais, l’engagement à vie n’a pas pour lui les inconvéniens qu’y trouverait une nation de propriétaires comme est la nôtre.. Cela dit, la longue durée du service a d’incontestables avantages pour une armée. Le maniement des armes, au lieu d’être un accident dans la vie du soldat, devient pour lui une profession exclusive ; l’esprit de corps est bien plus ferme et plus énergique entre hommes passant ensemble toute leur existence, n’ayant qu’une fortune et qu’un avenir ; mais c’est surtout dans la perfection et la stabilité de l’instruction que se manifeste la supériorité de ce régime : grace à lui, les recrues, qui sont le quart de notre infanterie, s’aperçoivent à peine dans celle de nos voisins ; il en résulte pour la troupe un accroissement de force très considérable, et pour les officiers une condition beaucoup plus, heureuse ; ils n’épuisent pas leur temps et leurs forces à dresser des conscrits destinés à quitter le corps dès qu’ils sont devenus des soldats.

La durée du service n’est pas le seul avantage de l’infanterie anglaise ; elle l’emporte aussi sur la nôtre par l’élévation de taille des hommes et surtout par la justesse, du tir.

Le minimum de la taille d’admission y est de cinq pieds six pouces anglais (1 mètre 677) ; c’est, à deux millimètres près, ce que nous exigeons pour les troupes du génie, la garde municipale à pied (1 mètre 679), et nous n’avons peut-être pas dans la ligne une seule compagnie de grenadiers dont tous les hommes remplissent cette condition. Les soldats anglais, bâtis de roast-beef et de bière, sont surtout plus gros et plus forts que les nôtres ; cependant je ne les crois pas aussi bien constitués pour la marche et les fatigues. L’armée anglaise est d’ailleurs esclave de ses habitudes de bien-être, et si je voulais faire ici autre chose que d’indiquer ce qu’il peut y avoir de bon à lui emprunter, j’ajouterais que la circonstance de guerre qui la priverait de son opulente administration lui ôterait probablement une grande partie de sa valeur.