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Non, non, vous avez fui pour ne plus reparaître,
Première illusion de mes premiers beaux jours,
Céleste enchantement des premières amours !
O fraîcheur du plaisir !…

En lisant ces vers, nous sentons s’éveiller et murmurer au dedans de nous cet écho du Vallon :

J’ai trop vu, trop senti, trop aimé dans ma vie…

On peut dire qu’en général l’élégie de Lamartine commence là où celle de Parny se termine, à la douleur, à la séparation, au désespoir ; mais le poète moderne a su rajeunir, revivifier tout cela par les espérances d’immortalité et par l’essor aux sphères supérieures : ainsi les plus beaux sonnets de Pétrarque sont ceux qui naissent après la mort de Laure. L’Éléonore de Parny, naïve et facile, manque d’élévation, d’avenir, d’idéal, de ce je ne sais quoi qui donne l’immortelle jeunesse ; elle n’a jamais eu d’étoile au front. Il n’est peut-être pas un nom de femme, parmi les noms amoureux célébrés en vers, dont on ait plus parlé en son temps, dont on se soit plus inquiété, avec une curiosité romanesque. Cinquante années n’étaient pas encore écoulées que lorsqu’on prononçait simplement le nom d’Éléonore, on ne se souvenait plus, de celle de Parny, on ne songeait qu’à la seule et unique Éléonore, à celle de Ferrare et du Tasse : il n’y a que l’idéal qui vive a jamais et qui demeure.

Si touchés que les contemporains aient pu être des graces vives et naturelles de Parny, et de ses traits de passion, il ne faudrait pas croire que certains défauts essentiels leur aient entièrement échappé. Le Mercure de France (8 janvier 1780) sait très bien regretter, par exemple, que l’expression de la tendresse ne se mêle pas plus souvent chez le poète à celle de la volupté, et que l’amour n’anime pas de couleurs plus riches son imagination et sa veine[1]. Dans les Annales politiques de Linguet (tome, V, page 104), on fait remarquer très justement

  1. Cet article du Mercure est de plus assez sévère pour le style. Il est vrai que Parny avait eu un tort d’irrévérence en disant à la fin de son premier recueil :

    Dans les sentiers d’Anacréon
     Égarant ma jeunesse obscure,
    Je n’ai point la démangeaison
    D’entremêler une chanson
    Aux écrits pompeux du Mercure.

    L’Année littéraire (année 1778, t. II), en rendant compte très favorablement des poésies de Parny, n’avait eu garde d’omettre ce petit trait contre le journal adverse.