Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 8.djvu/837

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il faut bien faire quelque chose de son talent, lorsqu’une fois on l’a développé ; il vous reste et vous sollicite, même après que la fraîcheur ou l’ardeur première du sentiment s’est dissipée ; car, tout poète élégiaque l’a dû éprouver amèrement, ce n’est pas tant la vie qui est courte, c’est la jeunesse.

En 1784, Parny sentit la nécessité d’une pause, et sembla vouloir mettre le signet à sa poésie ; il publiait la quatrième édition de ses Opuscules, édition corrigée et augmentée pour la dernière fois : « Nous pouvons assurer, disait l’avertissement, que ce Recueil restera désormais tel qu’il est. » Puis, il quitta la France, retourna en passant à l’île Bourbon, et fit le voyage de l’Inde, où on le trouve attaché, en qualité d’aide-de-camp, au gouverneur. Mais cet exil occupé lassa bientôt sa paresse ; il donna sa démission du service et de toute ambition, et, revenu à Paris, publia, en 1787, son choix agréable de Chansons madécasses recueillies sur les lieux, et qu’on peut croire légèrement arrangées. Cette attention inaccoutumée qu’il accordait à des chants populaires et primitifs nous avertit de remarquer que les Études de la Nature avaient paru dans l’intervalle et cinq ou six ans après la publication de ses élégies. La couleur locale, que Parny n’avait pas eu l’idée d’employer en 1778, lui souriait peut-être davantage depuis qu’il en avait vu les brillans effets et le triomphe[1]. À la suite des chansons en prose, on lisait en un clin d’œil, dans le mince volume, les dix petites pièces intitulées Tableaux, simple jeu d’un crayon gracieux et encore léger ; mais où déjà l’on pouvait voir une redite, la même image reprise et caressée, une variante affaiblie, d’une situation trop chère, dont l’imagination du poète ne saura jamais se détacher.

La révolution éclata, et Parny, malgré les pertes de fortune qu’il y fit successivement et qui atteignirent sa paresse indépendante, ne paraît, à aucun moment, l’avoir maudite, ni, comme tant d’autres

  1. Un de nos amis qui s’est sérieusement occupé de Madagascar,.et qui a pris la peine de recueillir quelques chansons malegaches authentiques, nous confirme d’ailleurs dans notre doute, et nous assure que les Chansons madécasses de Parny sont tout-à-fait impossibles : « Il a inventé, nous dit-on, les nuances de sentiment, les caractères qu’il prête à cet état de société, et jusqu’aux noms propres ; c’est du Parny enfin, du sauvage très agréablement embelli. » La comparaison de quelques pièces du vrai cru avec celles de Parny, et les considérations piquantes que pourrait suggérer ce rapprochement, nous mèneraient ici trop loin ; nous espérons en tirer matière un jour à un petit chapitre supplémentaire. On : n’en a pas besoin, en attendant, pour conclure que Parny entendait le primitif un peu comme Macpherson, et pas du tout comme Fauriel.