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la trame, il suffit de se rappeler les élégies d’André Chénier. Bertin, dont le nom ne saurait être omis dans un article sur Parny, l’intéressant et chaleureux Bertin, semble avoir mieux entrevu un coin de la tâche qu’il eût fallu entreprendre ; mais son louable, son généreux effort d’émulation à la Properce est resté inachevé.

Parny touchait à peine à l’âge de vingt-cinq ans, et il semblait déjà embarrassé de sa très jeune muse d’hier ; il disait à la--fin de sa Journée champêtre :

Il n’est qu’un temps pour les douces folies,
Il n’est qu’un temps pour les aimables vers.


Mais, quand les vingt-cinq ans furent loin, ce dut être bien pis. Tout le monde lui parlait d’Eléonore, et il sentait que pour lui le souvenir même s’enfuyait, s’effaçait déjà dans le passé. Combien de fois il dut répondre, non sans un mouvement d’impatience, aux admirateurs et questionneurs indiscrets :

Ne parlons plus d’Éléonore ;
J’ai passé le mois des amours !…


Au fond, il pensait toujours comme lorsqu’il avait dit dans sa riante peinture des Fleurs :

Pour être heureux, il ne faut qu’une amante,
L’ombre des bois, les fleurs et le printemps.


C’était le printemps qui lui faisait défaut désormais. On a remarqué que certaines natures poétiques, voluptueuses et sensibles, se flétrissent vite ; la première fleur passée, elles ne donnent qu’un fruit peu abondant, après quoi ce n’est plus qu’une écorce mince et sèche, à laquelle, s’il se peut, s’attache un reste de l’ancien parfum. La forme même des traits change ; ce qui était le nerf de la grace devient aisément maigreur, la finesse du sourire tourne à la malice. Je ne veux pas dire que Parny ait jamais subi toute la métamorphose, ni même qu’il en ait donné signe tout d’abord. Il y eut bien des années intermédiaires ; ces années-là sont difficiles à passer. J’ai souvent pensé qu’un poète élégiaque, qui, son amour une fois chanté, se tairait à jamais et obstinément, comme Gray, par exemple, agirait bien plus dans l’intérêt de sa gloire ; il se formerait autour de son œuvre je ne sais quoi de mystérieux, de conforme au genre et au sujet. Son chant, comme celui de ces oiseaux qui ne chantent que durant la saison des amours, s’en irait mourir vaguement dans les bois. Mais que voulez-vous ?