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séance se tint dans la salle du Louvre ; et ce fut une des dernières avant la translation de l’Institut aux Quatre-Nations. La société, qui renaissait et qui obéissait déjà à tout un autre reflux d’idées, y accourut en foule et dans les dispositions d’une curiosité quelque peu malicieuse ; c’était le même monde qui venait d’inaugurer le Génie du Christianisme, et tout récemment de faire le succès de la Pitié de Delille, succès qu’on peut considérer comme une revanche sociale de celui de la Guerre des Dieux. Garat, au nom de l’institut, devait répondre.à Parny, et l’on se demandait comment le philosophe se tirerait de l’endroit difficile. Parny ne put lire son discours lui-même, à cause de la faiblesse de sa voix et même d’une certaine difficulté de prononciation[1] ; ce fut Regnault de Saint-Jean d’Angely qui lui prêta son organe sonore. Le discours de Parny, très convenable, indique le pli définitif de son esprit, une fois la première fleur envolée : quelque chose de juste, de bien dit, mais d’un peu sec. Quoique le goût et la morale ne soient pas exactement la même chose, il pouvait sembler piquant de trouver si rigoriste sur le chapitre des doctrines littéraires celui qui l’avait été si peu tout à côté. Quant à Garat, son discours dura trois quarts d’heure, ce qui semblait alors très long pour un discours d’académie ; il parla de beaucoup de choses, et, lorsqu’il en vint à prononcer le mot de Guerre des Dieux, l’auditoire qui l’attendait là, et qui commençait à se décourager, redoubla de silence ; ce fut en vain : l’orateur-sophiste échappa à la difficulté par un vrai tour de passe-passe assez comparable à celui par lequel il avait traversé toute la Révolution, en n’étant ni pour les girondins, ni pour les jacobins, mais entre tous. Ainsi, dans cette fin de discours, il se mit à faire un magnifique éloge de la piété tendre et sensible, puis, en regard, un non moins magnifique portrait de la vraie philosophie ; puis, au sortir de ce parallèle, il s’échappa dans une vigoureuse sortie contre le fanatisme qui, seul, trouble la paix si facile à établir, disait-il, entre les deux parties intéressés ; s’animant de plus en plus devant cet ennemi, pour le moment du moins, imaginaire, l’orateur compara tout d’un coup le fanatique ou l’hypocrite à l’incendiaire Catilina lorsqu’il vint pour s’asseoir dans le Sénat de Rome et que tous les sénateurs, d’un mouvement de répulsion unanime, le délaissèrent sur son banc seul, épouvanté et furieux de sa solitude… On se retournait, on regardait de toutes parts pour chercher cet incendiaire, car il était

  1. Ce n’était une difficulté que relativement au discours public ; Parny avait la bouche fine et mince, le contraire de l’ore rotundo.