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qui parvient à s’y attacher, y trouve cette douceur de déférer et d’obéir qui est plus un témoignage de force que de faiblesse ; et dût-il ne pas se rendre aux résultats, s’il s’est pénétré de la méthode, il est dans la voie de la vérité.

Telle est en effet la force de cette méthode, telle en est la conformité avec l’esprit français, qu’il eut, au temps de Descartes, des superstitieux de ce beau génie qui prirent pour le législateur même de la nature des choses celui qui ne faisait qu’en reconnaître certaines lois. Les écrits du temps parlent des convictions extraordinaires qu’il produisit. On le croyait si en possession de la vérité sur tous les principes des choses, qu’on lui attribuait le pouvoir de prolonger sa vie, et qu’on regardait son régime particulier comme un principe éternellement vrai de longévité. Lui-même n’avait-il pas été dupe de la rigueur de sa méthode ? Tout lui étant cause et effet, là où il n’apercevait pas de cause il ne redoutait pas d’effet, et il n’attendait pas la maladie de la santé ; ni de la maladie la mort. « Je me sentais vivre, dit-il (à quarante ans), et me tâtant avec autant de soin qu’un riche vieillard, je m’imaginais presque être plus loin de la mort que je n’avais été en ma jeunesse. » Il mourait pourtant moins de quinze ans après, ne causant pas moins de surprise que de deuil à ses amis, lesquels ne pouvaient comprendre qu’il fût mort sans l’avoir prédit : quelques-uns même crurent qu’il n’avait cessé de vivre que pour n’avoir pas voulu résister à la mort.

Cette autorité de Descartes, cette domination qu’on sent à le lire, à laquelle on est si heureux de céder quand on l’a lu avec l’application nécessaire, n’est-ce pas là encore l’un des caractères des écrits du XVIIe siècle ? Nous en faisons l’aveu par cette qualification proverbiale de maîtres que nous donnons aux grands écrivains de cette époque, et où se révèle le sentiment populaire. Pourquoi les appeler nos maîtres, sinon parce qu’il y a là une doctrine et des disciples, et qu’à l’idée de la supériorité du génie se joint celle d’un enseignement éternel ? Nous le disons non-seulement de ceux qui exposent dogmatiquement la vérité, mais de tous sans exception ; car, soit qu’ils tirent eux-mêmes la morale des peintures qu’ils nous font de la vie, soit qu’ils nous la laissent tirer, leur dessein d’exprimer la vérité et d’en persuader les autres hommes est si manifeste, qu’à moins d’une affreuse médiocrité d’esprit et de cœur, il faut éprouver les effets de cette autorité, et faire le propos d’y obtempérer. Nous les trouvons, pour ainsi dire, sur le chemin de toutes nos actions qu’ils ont comme prévues et réglées d’avance, et si nous ne faisons pas ce qu’ils conseillent,