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ou n’évitons pas le danger qu’ils nous signalent, c’est avec le sentiment d’une sorte de désobéissance envers des maîtres infaillibles.

Cet attachement à la vérité pratique et cette ardeur pour la communiquer, c’est le génie même de notre pays. Nous avons donné le plus bel exemple, dans le monde moderne, de cette propriété de la vérité, qui est de susciter dans l’esprit qui la possède le désir et le devoir de la communiquer. Sitôt, qu’elle est apparue à un esprit supérieur, elle cesse immédiatement de lui appartenir, et il faut qu’il la rende incontinent au public, appropriée à l’intelligence de tous, et à peine signée, en un coin du nom de l’inventeur. Celui qui croit la garder pour soi ne l’a pas trouvée ; c’en est quelque ombre dont il se leurre, et il n’y a pas de plus grande erreur en critique que de dire d’un écrivain qui n’est pas vrai, qu’il lui était libre de l’être, et qu’ayant dans une main la vérité et le mensonge dans l’autre, il lui a plu de laisser échapper le mensonge et de retenir la vérité Ne rabaissons pas la vérité, cette portion de Dieu, jusqu’à penser qu’elle n’a pas assez de charmes pour se faire préférer au mensonge. Ne calomnions pas même les écrivains faux jusqu’à dire que, pouvant prétendre à la gloire que donne la vérité exprimée dans, un beau langage, ils ont mieux aimé le scandale qui s’attache aux mensonges écrits avec talent. Leur excuse est dans ces théories mêmes par lesquelles, ils essaient de faire tourner leurs défauts à vertu, et leurs fausses vues à vérité ; car qui peut mieux prouver qu’ils n’ont pas été libres de choisir, que le désir de faire croire aux autres que leur erreur est le vrai ?


VI

Descartes ayant été marqué le premier de ce grand caractère et en ayant fait par son exemple une loi de notre littérature, il n’y a point d’exagération à dire qu’il est plus véritablement original qu’aucun des écrivains qui l’ont précédé.

A moins que, par un étrange abus, de mots, on ne donne exclusivement la gloire de l’originalité, non pas à la plus grande liberté de la pensée unie à la plus grande justesse, mais à un certain mélange de raison et de folie, de génie et de débauche d’esprit, tel qu’on le voit dans Rabelais, il faudra bien en laisser le mérite à Descartes.

Il est vrai que Montaigne a donné l’exemple d’une autre sorte d’originalité qui n’est ni ce dérèglement d’imagination où la raison brille par éclairs, ni la plus grande liberté de la pensée unie à la plus grande justesse. C’est un certain laisser-aller d’esprit qui consiste à