Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 8.djvu/895

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les imitateurs ne font pas ainsi : ils n’avouent pas celui qu’ils imitent, l’imitation n’étant qu’une médiocrité d’esprit, mêlée de beaucoup de vanité, qui cache ses emprunts, ou quelquefois ne s’aperçoit même pas qu’elle emprunte.

C’est par sa logique que Descartes mit sa marque sur Port-Royal ; sa métaphysique a inspiré deux hommes de génie, dont l’un s’en appropria les principes avec la liberté d’esprit et la mesure admirable qui lui sont propres, et dont l’autre les reçut en disciple fidèle, et les développa en disciple ingénieux, Bossuet et Fénelon.

Bossuet suit Descartes dans son beau traité de la Connaissance de Dieu et de soi-même, ouvrage tout cartésien par les principes et par son titre même. Il y donne la même définition de la philosophie, et comprend, de même les sciences ; il distingue dans nos sensations les phénomènes de l’esprit et ceux du corps ; il assigne la même origine à nos idées, et trouve dans l’entendement des idées supérieures aux idées sensibles ; il donne la même preuve de l’existence de Dieu ; il reconnaît comme Descartes la souveraineté de la raison dans toutes les opérations de l’esprit, dans l’appréciation du vrai et du faux, dans la conduite de la vie.

Fénelon, avec moins d’indépendance que Bossuet, abrége ou développe Descartes. Son traité de l’Existence de Dieu reproduit les principales vérités de la métaphysique cartésienne, à laquelle il mêle des ornemens agréables, dans le but d’intéresser l’imagination à des vérités de raison.

La psychologie de Descartes attira au cartésianisme les compagnies de beaux esprits ; c’est par là qu’il fut un moment à la mode. Il en faut voir de piquantes anecdotes dans madame de Sévigné dont la société était toute cartésienne. On y disputait de la nouvelle philosophie, à la suite d’une partie d’hombre et de reversi. Le chevalier de Sévigné y soutenait contre tout venant celui que sa sœur, madame de Grignan, appelait son père. Il semblait à madame de Sévigné, dans son admiration pour Descartes, que les nièces de ce grand homme dansaient mieux le passe-pied que les autres. Puis ce sont nombre de mots fins et charmans qui sentent fort leur cartésianIsme. « Je vous aime trop pour que les petits esprits ne se communiquent pas de moi à vous, et de vous moi. » Et ailleurs : « J’aimerais fort à vous parler sur certains chapitres ; mais ce plaisir n’est pas à portée d’être espéré. En attendant, je pense, donc je suis ; je pense à vous avec tendresse, donc je vous aime ; je pense à vous uniquement de cette manière, donc je vous aime uniquement. »