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Boileau, dans l’Arrêt burlesque, vengeait la philosophie de Descartes des dénonciations de l’Université de Paris, et en gravait le précepte essentiel : « Aimez donc la raison » à toutes les pages de l’'Art poétique, ce discours de la Méthode de la poésie française. Qui ne sait par cœur l’enthousiaste déclaration de foi de La Fontaine sur Descartes :

</poem>Descartes, ce mortel dont on eût fait un dieu Chez les païens, et qui tient le milieu Entre l’homme et l’esprit…</poem>

D’autres fables, parmi ses plus belles, portent la marque des idées philosophiques de Descartes. Racine en avait recueilli et comme respiré la tradition vivante dans le commerce avec Port-Royal ; et si ses personnages raisonnent moins et pensent ou sentent plus que ceux de Corneille, n’est-ce pas le fruit de cette doctrine qui avait changé la définition de la logique, et remplacé l’art de raisonner par l’art de penser ?

L’ordre des temps excepte Corneille de cette influence. Corneille, comme Descartes, n’eut pas d’ancêtres, ni de tradition. Mais serait-il juste d’en dire autant de Molière, parce qu’il fut l’élève du plus célèbre des contradicteurs de Descartes, Gassendi ? J’y verrais au contraire une preuve que cette influence l’a touché plus directement et plus tôt que les autres : car comment douter que Gassendi ne prêt ses disciples à témoin de ce grand débat, et, d’après ce qu’on sait de son caractère, qu’il ne leur donnât à lire les écrits de son rival ? Pourquoi donc cet ordre admirable de Descartes, cette simplicité toujours noble, cette exactitude sans recherche, cette profonde connaissance de l’homme qui perce à chaque instant sous la discussion métaphysique, n’auraient-ils pas aidé Molière à connaître son grand naturel ? C’est Descartes que je sens dans l’une des plus étonnantes beautés du théâtre de Molière, dans cette logique du dialogue si abondante, si libre dans ses tours, et toutefois si serrée. Il serait puéril d’ôter à Gassendi, pour la donner à Descartes, la gloire des premières impressions que reçut le génie de Molière ; mais il est vrai de dire que tous deux y ont eu part, Gassendi par son attachement même pour les vérités d’expérience qui sont le fond de la comédie ; Descartes par sa méthode, qui donnait pour tous les genres d’ouvrages les règles de l’art, c’est-à-dire de l’expression durable.

Telle fut l’influence de Descartes sur le XVIIe siècle. L’histoire des lettres offre beaucoup d’exemples d’écoles littéraires dont le maître a été un homme de talent, faisant illusion par quelque défaut séduisant,