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tout leur programme de réformes. M. Clay eut la gloire de faire adopter malgré la nouvelle administration le bill sur le revenu des terres publiques et le tarif protecteur. Ces deux mesures ont eu pour effet de combler le déficit, d’acquitter immédiatement la dette publique, de raviver l’industrie nationale et de la tirer d’une crise dangereuse. Aujourd’hui tout prospère aux États-Unis, et le trésor compte plus de 50 millions d’excédant de recettes : mais, maintenant que la circulation est rétablie et le crédit ranimé, on ne sent plus aussi vivement qu’auparavant la nécessité d’une banque nationale, et M. Clay, en se faisant par complaisance pour ses amis le défenseur d’une semblable institution, a éloigné de lui tous ceux qui la regardent comme dangereuse à la liberté. En outre, les adversaires du tarif se sont fait une arme de ce grand excédant de recettes, ils demandent à quoi sert de charger de taxes si lourdes la consommation, et s’il n’eût pas mieux valu les alléger : l’idée toute populaire d’un dégrèvement a été habilement exploitée par les ennemis de M. Clay. C’est ainsi que l’abondance qu’il a ramenée dans le trésor national est devenue une arme dirigée contre lui. Sa défaite, du reste, équivaut à un triomphe, car sur 3 millions de votans, c’est a peine s’il aura 15 à 20,000 suffrages de moins que le candidat préféré.

Tout en tenant compte de cette ingratitude du peuple américain, tenons compte aussi d’un progrès remarquable dans le langage et le ton de la presse des États-Unis. Celle du sud s’est sans doute montrée comme toujours passionnée jusqu’à la frénésie, ne reculant devant aucun outrage et aucune calomnie ; mais la presse, même démocratique, du nord s’est fait remarquer dans toute cette lutte par un ton de modération inusité aux États-Unis : elle a discuté avec mesure, et elle n’a jamais cessé de rendre justice aux talens et aux vertus du grand homme d’état qu’elle combattait, non pas personnellement, mais comme le représentant d’un parti opposé. Ajoutons encore que c’est un grand et noble spectacle que celui de trois millions d’hommes exerçant leurs droits politiques sous l’empire de la plus violente agitation, sans une seule goutte de sang répandue, sans un seul acte de violence même dans les grandes villes, et avec la populace a plus corrompue du monde entier. Un autre trait remarquable et particulier à l’Amérique, c’est que, le scrutin une fois fermé et la lutte terminée, toute agitation cesse aussitôt : d’ici à quinze jours, le calme le plus complet règnera aux États-Unis ; le parti vaincu ne songera plus qu’à renverser M. Polk dans quatre ans d’ici, et le parti victorieux qu’à le maintenir.

Ceci nous amène à exposer notre opinion sur les conséquences probables de l’élection de M. Polk. Nous croyons que la plupart des journaux français ont, attaché à cette élection une importance qu’elle n’a pas. C’étaient les démocrates qui administraient sous M. Tyler, ce sont eux qui vont administrer avec M. Polk ; il n’y aura donc pas un brusque revirement dans la politique. Nous ne pensons pas qu’il soit pris aucune mesure décisive, ni par rapport au Texas ni par rapport au tarif. Le statu quo sera imposé à la nouvelle administration. Le véritable pouvoir réside entre les mains du congrès,