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et qui pis est, n’accordent qu’une foi médiocre aux anciens. Voilà ce qui fait que les âges de civilisation raffinée sont assez peu épiques, et pourquoi il faut toujours remonter au berceaux des nations pour trouver dans leur pureté première loes sources de l’épopée véritable.

Eh quoi ! dira-t-on, les siècles de brillante civilisation sont-ils déshérités des jouissances épiques ? Non pas dans tous les sens. Outre l’épopée primitive et spontanée, il y a l’épopée secondaire et réfléchie, qui naît aux époques avancées et peu croyantes. Virgile a laissé le type le plus parfait de la poésie épique de seconde époque. Une méprise très grave et très commune de la critique est de demander l’épopée des premiers temps le fini, l’art, les bienséances, qui ne peuvent appartenir qu’à l’épopée érudite, ou (ce qui est un tort égal) d’exiger de l’épopée savante la naïveté d’inspiration, l’initiative religieuse et l’originalité cosmogonique, qui ne peuvent appartenir qu’à la poésie des premiers âges. À la fin du XVIe siècle, en ce temps de sensualité sceptique et de renaissance presque païenne, où les dogmes du christianisme étaient déjà trop controversés, au moins dans une grande partie de l’Europe, pour être employés naïvement, comme au siècle de Dante, et où ils étaient encore trop vénérés pour être employés comme de purs ornemens, il fallut bien, pour rester fidèle à la grande loi de la poésie épique, qui est de rattacher l’homme au ciel, et pour ne pas tomber dans l’histoire sèche et le prosaïsme, recourir à l’emploi des anciennes formes mythologiques, qui, d’ailleurs, jouissaient alors d’une sorte de vogue et d’autorité plastiques. À la suite de Sannazar et du Trissin, Camoens et Corte Real ont été naturellement conduits à emprunter leur merveilleux à la muse latine. Tous deux expliquent les fortunes diverses et les actions de leurs héros par l’intervention des divinités fabuleuses, c’est-à-dire qu’ils n’expliquent rien pour qui ne croyons pas aux dieux de l’Olympe ; mais ils ornent leur matière, à peu près comme faisaient Primatice, Rubens et Lebrun, lorsqu’ils couvraient de leurs allégories les plafonds de Fontainebleau, la galerie de Catherine de Médicis et les appartemens de Versailles. À vrai dire, dans Camoens, dans Corte Real, comme dans tous les poètes des XVIe et XVIIe siècles, la mythologie n’a guère qu’une valeur de métaphore et, en quelque sorte, d’ornementation.

Au reste, on conçoit aisément que les poètes des deux derniers siècles, dont la langue était presque entièrement moulée sur les chefs-d’œuvre de la Grèce et de l’Italie, tinssent vivement à conserver ce quelque chose peu raisonnable, si l’on veut, mais qui les empêchait