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de tomber dans la trivialité et dans la prose. Boileau et Jean-Jacques Rousseau ont plaidé cette thèse avec passion. Le grand Corneille moins intéressé dans le débat, a aussi bravement rompu une lance pour la même cause. On relit toujours avec plaisir, je dirais presque avec une nouvelle surprise, ces beaux vers d’un tour si différent de sa facture ordinaire :

Qu’on fait injure à l’art de lui voler la fable !
C’est interdire aux vers ce qu’ils ont d’agréable,
Anéantir leur pompe ; éteindre leur vigueur,
Et hasarder la Muse à sécher de langueur.
O vous qui prétendez qu’à force d’injustices
Le vieil usage cède à de nouveaux caprices,
Donnez-nous par pitié du moins quelques beautés
Qui puissent remplacer ce que vous nous ôtez,
Et ne nous livrez pas aux tons mélancoliques
D’un style estropié par de vaines critiques.
Quoi ! bannir des enfers Proserpine et Pluton !
Dire toujours le Diable et jamais Alecton !
Sacrifier Hécate et Diane à la Lune,
Et dans son propre sein noyer le vieux Neptune !
Un berger chantera ses déplaisirs secrets,
Sans que le triste Écho répète ses regrets !
Les bois autour de lui n’auront pas de Dryades,
L’air sera sans Zéphirs, les fleuves sans Nayades,
Et par nos délicats les Faunes affamés
 Rentreront au néant dont on les a formés !
Pourras-tu, dieu des vers, endurer ce blasphème ?
Toi qui, fis tous ces dieux, qui fis Jupiter même
Pourras-tu respecter ces nouveaux souverains,
Jusqu’à laisser périr l’ouvrage de tes mains ?

La fable en nos écrits, disent-ils, n’est pas bien ;
La gloire des païens déshonore un chrétien.
L’Église toutefois que l’Esprit saint gouverne,
Dans ses hymnes sacrés nous chante encore l’Averne,
Et par un vieil abus le Tartare Inventé
N’y déshonore point un Dieu ressuscité
Ces rigides censeurs ont-ils plus d’esprit qu’elle,
Et sont-ils dans l’Église une Église nouvelle ?

Otez à Pan sa flûte, adieu les pâturages ;
Otez Pomone et Flore, adieu les jardinages.