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reçoivent-ils la moindre atteinte, nous en sommes instruits de cent façons ; mais si nous voulons savoir l’origine de ces murailles qui abritent la communauté, de cette église qui retentit de ses prières, si nous cherchons quels changemens sont survenus dans le plan primitif de ces constructions, par qui ces changemens furent exécutés, les contemporains sont, muets : ils n’ont rien vu, rien su, ou si par hasard il leur échappe quelques paroles, elles sont si brèves, si insouciantes, si incomplètes, que souvent elles ne servent qu’à nous égarer. Il y a tels monumens sur le compte desquels les données les plus fausses ne se sont accréditées que parce qu’une fois par hasard un contemporain leur a rendu le mauvais service d’en dire quelques mots.

Qu’on juge donc de notre embarras. S’il s’agissait de l’histoire de la ville de Noyon, les matériaux ne nous manqueraient pas. Fallût-il remonter jusqu’à Jules-César, nous trouverions des témoins oculaires, des pièces originales, des autorités dignes de foi. Nous n’en manquerions pas davantage, soit, pour décrire l’établissement de la commune, soit pour assister à la formation de la bourgeoisie et à ses rapports avec l’évêque ; nous pourrions dépeindre dans tous leurs détails les dévastations dont les armées anglaises et espagnoles affligèrent pendant trois siècles cette triste contrée, le siége de la ville, sa prise et sa reprise durant la ligue ; puis nous pourrions raconter encore, et jour par jour, en quelque sorte, les premières années de ce Jean Calvin, qui, tout en devenant pour sa ville maternelle, un si grand sujet de scandale, devait faire rejaillir sur elle une part de sa célébrité ; mais ce n’est pas là notre tache. C’est l’histoire de la cathédrale elle-même, de ses murailles, de ses pierres qu’il s’agit de tracer, et celle-là, encore une fois, nous ne pouvons invoquer le secours d’aucune pièce contemporaine, d’aucun témoignage authentique.

Il faut donc, bon gré mal gré, que nous consultions les Annales de Levasseur. Lui, du moins, il ne pèche pas par indifférence, il a pour sa cathédrale un véritable amour. Il la décrit, il la mesure, il cherche à l’expliquer dans toutes ses parties. Ce n’est pas sa faute, si, n’ayant jamais voyagé, il n’a pas vu d’autres églises, et n’a pu rectifier ses idée au moyen des comparaisons. Qui d’ailleurs, à cette époque, pensait à voir et à comparer des églises ? Il a recueilli pêle-mêle toutes les traditions qui se colportaient, il y a deux cents ans, sous les voûtes du cloître et dans la salle capitulaire de Noyon. Acceptons-le donc comme un écho de ces traditions, et laissons-le parler, sauf à nous tenir sur nos gardes et à chercher ensuite les meilleurs moyens de démêler le faux du vrai.