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plus vrai : Fanie était dans l’île de Cos, et Méléagre, absent, s’en était allé du côté de l’Hellespont ; il s’adresse ainsi aux voiles qu’il aperçoit du rivage : « Navires bien frétés, légers sur les eaux, qui traversez le passage d’Hellé recevant au sein des voiles un Borée favorable, si quelque part vous apercevez sur le rivage dans l’île de Cos la petite Fanie regardant vers la mer bleue, annoncez-lui cette parole « Belle épousée, ce n’est point sur un vaisseau qu’il reviendra ; il est homme à venir à pied, tant il t’aime[1] ! » - Et si vous dites cela, voguez au plus vite, voguez à souhait : Jupiter propice soufflera dans votre voilure. »

Démo, la petite maîtresse aux parfums, lui inspirera aussi quelques vrais accens ; c’est pour elle qu’il s’écriait à l’aurore : « Point du jour, pourquoi, ennemi des amoureux, m’es-tu survenu si vite sur ma couche, lorsqu’à peine je commençais à m’attiédir auprès de ma chère Démo ? Puisses-tu, rebroussant chemin au plus tôt, devenir l’Étoile du soir, ô toi qui lances une douce lumière si amère pour moi ! Car déjà auparavant, à propos d’Alcmène, tu es allé au-devant de Jupiter, et tu n’ignores pas comment on s’en revient. » Dans une autre épigramme qui est la contre-partie de la première, il accuse ce même Point du jour, qui allait si vite tout à l’heure, d’être trop lent à tourner autour du monde, maintenant qu’un autre plus heureux est accueilli en sa place et lui succède dans les mêmes douceurs : « Mais, lorsque je la tenais dans mes bras, la belle élancée, tu m’arrivais bien vite, comme pour me frapper d’une lumière qui rit de mes maux. » - Cette Démo, en effet, lui fut infidèle, on l’entrevoit, pour un Juif, et nous arrivons à Zénophila.

Celle-ci est une délicate personne, une belle diseuse (dolce loquenlem), une savante ou mieux une muse ; ce n’est pas d’elle qu’on pourrait dire qu’elle ne chante pas les vers de Sapho, elle en fait elle-même. Le ton de Méléagre semble s’épurer pour la célébrer : « Les Muses aux doux accens avec la lyre, et la parole sensée avec la Persuasion, et l’Amour guidant en char la beauté, t’ont donné en partage, ô Zénophila, le sceptre des Désirs ; les trois Graces t’ont donné leurs dons. » Et il explique de toutes les manières, il commente avec complaisance ce triple don, cette voix mélodieuse qui le pénètre, cette forme divine qui darde le désir, ce charme surtout qui l’arrête : beauté,

  1. Ou peut-être veut-il dire simplement qu’elle ne l’attende point vers la haute mer, et qu’il arrivera par terre, du côté de la Carie et d’Halicarnasse, qui n’était séparée de Cos que par un trajet. Il y a quelque obscurité dans le texte, mais non point dans le mouvement qui a de la tendresse,