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muse et grace. Il va cueillir les images les plus fraîches et les plus légères pour lui exprimer son ame. Il est jaloux de tout auprès d’elle, de la mouche qui vole, même du sommeil : « Tu dors, Zénophila, tendre tige ! Puissé-je sur toi maintenant, comme un Sommeil sans ailes, pénétrer dans tes paupières et n’en plus bouger, afin que pas même lui, lui qui charme les yeux même de Jupiter, n’habite en toi, et que moi seul je te possède ! » Et quelle fraîcheur matinale et pure dans le couplet suivant, que tant de poètes latins modernes ont travaillé à imiter sans l’atteindre : « Déjà la blanche violette fleurit, et fleurit le narcisse humide, et les lis fleurissent sur les montagnes ; mais la plus aimable de toutes, la fleur la plus éclose entre les fleurs, Zénophila, est comme la rose qui exhale le charme. Prairies, pourquoi riez-vous si brillamment sous vos parures ? l’enfant est plus belle que toutes vos couronnes. »

Si, dans un festin, la coupe a touché les lèvres de Zénophila, il s’écrie : « Le calice a souri de joie, il dit qu’il a touché la lèvre éloquente de l’aimable Zénophila : bienheureux ! Oh ! si, appliquant aussi bien ses lèvres à mes lèvres, elle buvait en moi d’une seule haleine toute mon ame ! »

Il n’est pas toujours jaloux du moucheron qui vole, il ne se courrouce pas toujours contre le cousin qui peut piquer la belle dormeuse ; il lui confie aussi au besoin de délicats messages : « Vole pour moi, Moucheron, léger messager, et, effleurant l’oreille de Zénophila, murmure-lui ces mots : « Tout éveillé il t’attend, et toi, oublieuse de ceux qui t’aiment, tu dors ! » -Va, vole ; ô l’ami des muses, envole-toi ! mais parle-lui bien bas, de peur qu’éveillant celui qui dort à côté, tu ne déchaînes sur moi ses jalouses colères. Que si tu m’amènes la belle enfant, je te coifferai d’une peau de lion, ô Moucheron sans pareil, et je te donnerai à porter dans ta main la massue d’Hercule[1]. »

  1. Cette forme de badinage est familière à Méléagre ; d’autres fois, se souvenant d’Anacréon, il s’adresse à la cigale, il apostrophe la sauterelle ; voici une petite pièce à celle-ci, qui est fort jolie dans l’original. Je fais remarquer seulement que le mot de sauterelle en grec (άχρίς) n’a rien que d’agréable, et que, de plus, tous les mots dans cette petite pièce sont choisis dans un sentiment imitatif, et de manière à exprimer le cricri fondamental combiné avec une certaine harmonie ; ces nuances échappent en français : « Sauterelle, tromperie de mes amours, consolation du sommeil qui me fuit, Sauterelle, muse rurale, à l’aile sonore, imitation toute naturelle de la lyre, touche-moi quelque chose d’enchanteur en frappant de tes pieds chéris tes ailes babillardes ; ainsi chasse de moi les fatigues d’un souci toujours en éveil, en ourdissant, ô Sauterelle, un son qui distraie l’amour. Et pour cadeau matinal je te donnerai de la ciboule toujours fraîche, et, dans ta bouche bien fendue, de petites gouttes de rosée. »