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doctrines, pour tout dire enfin, le caractère ridicule, la marche vulgaire de leur tentative, tout cela nous aurait certainement trompé ; nous aurions pu ne voir qu’une émeute puérile dans une révolution si sérieuse. Non, il ne s’agit plus de Ronge et de Czerski ; le chapelain de Laurahûtte et le curé de Schneidemühl disparaissent : ce qui est grave, c’est le travail immense qui s’est fait, en des sens si divers, à l’abri de ces deux noms. Quand on regarde ces choses d’un peu près, on est étonné d’y apercevoir tant d’intérêts contraires et si résolument armés : La situation est tout hérissée de difficultés infinies, et si Ronge et Czerski méritent en quelque manière l’attention qu’on leur a donnée, c’est pour avoir mis à nu, sans le savoir, ces discordes secrètes qui déchireront long-temps encore toutes les communications religieuses de l’Allemagne.

Je voudrais raconter nettement cette confuse histoire ; je voudrais être bref dans un sujet plein de détails sans nombre, clair dans une matière obscure, mal connue, difficile à connaître. La chose, d’ailleurs, vaut bien la peine qu’on l’examine de près et d’un œil attentif. Tous les problèmes qui s’agitent derrière ces évènemens sont immenses ; il s’agit de reconstituer l’église évangélique et de réformer la réforme ; il s’agit de réviser, après trois cents ans, le pacte qui unit l’église et l’état, et d’approprier au progrès des mœurs et des lumières une église aussi malade ; aussi menacée, que l’était l’église romaine au temps de Luther ; il s’agit de connaître la situation réciproque des communions catholique et protestante, les causes de discorde et de ruine peut-être qui fermentent dans leur sein, en un mot ce qu’est aujourd’hui le christianisme sur cette terre classique des débats religieux. Une autre question, tout aussi sacrée, est engagée dans cette lutte, c’est celle de la liberté de la pensée ; on veut savoir si elle en sortira triomphante ou vaincue. Ce grand principe a presque toujours été respecté jusqu’ici dans l’Allemagne du nord ; il est inquiété en ce moment. Que va-t-il arriver ? Commettra-t-on la faute de pousser à bout les fils de Luther, les fils de Kant et de Hegel ? Leur fera-t-on si beau jeu ? Les amènera-t-on à allumer une guerre religieuse pour défendre plus facilement, sous le masque d’une communion nouvelle, ces libertés de l’esprit qu’on veut anéantir ? Il y a plus : ces désirs d’unité religieuse, qui se sont manifestés au milieu de ces troubles, ne sont que l’expression du désir bien autrement vif encore qui pousse l’Allemagne à chercher son unité politique. Qu’on ne s’y trompe pas : c’est la politique surtout qui est intéressée dans ces débats. L’esprit de ce pays continue à s’éveiller si vivement, que ses libres espérances doivent se