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ce que vaut cette assertion, il faut la soumettre à l’expérience. Il convient d’abord de remarquer qu’on ne reçoit guère dans les établissemens d’aliénés que des hommes dont la raison est tout-à-fait obscurcie. Est-il ensuite bien exact de prétendre que, même chez ces fous séquestrés, la maladie n’augmente jamais la mesure des facultés intellectuelles ? Nous avons tous en nous-mêmes des pensées qui ne sont pas présentes à notre connaissance. Il suffit quelquefois d’une excitation quelconque pour que ces idées se révèlent. Ceci explique comment les hallucinés prêtent souvent à leurs voix un langage très au-dessus de leur portée. Une vieille femme de la Salpêtrière se croit tourmentée par des diables qu’elle entend et qu’elle sent. M. Esquirol lui avait promis de les chasser. Ces diables disent à la femme : « Si M. Esquirol nous chasse, nous sortirons en effigie. » Notre pauvre femme ne comprend point ce dernier terme ; elle demande alors à M. Leuret ce que cela signifie de sortir en effigie et si cela veut dire tout de suite. Nous avons vu nous-même, il y a deux ans, une jeune Irlandaise qui, au milieu de ses accès, prêchait comme O’Connell. Il est hors de doute que dans des temps de foi et d’ignorance on eût attribué à une cause surhumaine les discours de cette folle inspirée.

L’hallucination excite et accroît nos forces intellectuelles, nous la trouvons mêlée au sommeil, et c’est à sa présence qu’il faut attribuer dans certains cas des jets de lumière soudaine qui nous trompent sur la source de nos idées. Un célèbre écrivain anglais rêve une nuit qu’il discute avec un inconnu sur un point très ardu de philosophie, et que, dans le courant de la controverse, son adversaire lui adresse un raisonnement invincible. Réveillé en sursaut, il cherche une réponse à ce même argument et n’en trouve aucune. L’impression de ce rêve survit au sommeil et rend notre philosophe triste durant plusieurs jours. Il fallut qu’un ami, auquel il confia le sujet de son chagrin, le consolât en lui disant : « Mais cet adversaire qui vous a vaincu, c’est vous-même ; cette pensée qui vous confond est la vôtre. » Il en est de ce rêve comme des luttes théologiques qu’engageait Luther avec le diable. Le puissant réformateur demeurait quelquefois si accablé sous les objections de son contradicteur imaginaire, qu’il ne trouvait d’autre moyen pour se tirer d’embarras que de rompre brusquement la controverse, en lui tournant le dos, avec une grosse injure latine que nous n’osons pas traduire. Luther, dans ces momens-là, se battait lui-même et ne s’en tenait pas moins mortifié pour cela de sa défaite. On voit par ces faits comment, dans le cas d’hallucination, l’ame aux prises avec elle-même, et étonnée d’une puissance de raisonnement