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qu’elle ne se connaissait pas, désassocie son moi et met ses propres éclairs de génie sur le compte d’un être imaginaire. En fournissant à l’esprit de nouveaux élémens, l’hallucination le met en état de s’exercer avec de nouvelles forces, et accroît ainsi le domaine de ses idées.

Si, comme l’assure d’ailleurs M. Brierre, les hallucinés d’aujourd’hui ne sont capables de rien de grand, n’est-ce pas là une suite de l’état actuel de la société ? Ces visions qu’autrefois on cherchait, on provoquait, maintenant tous les esprits élevés les écartent et les fuient. Loin de passer pour des faveurs célestes, nous savons qu’elles nous rendraient à cette heure la fable du monde, et qu’elles nous enverraient aux petites-maisons. Il existe dans cette crainte un frein moral qui nous empêche de nous livrer aux premiers écarts de notre imagination malade. De telles erreurs n’atteignent donc plus guère aujourd’hui que des esprits faibles ou ordinaires. Quand ces mêmes visions étaient au contraire des instrumens de puissance sur les masses, on s’y abandonnait avec une sorte d’amour. La vision éteinte, l’impulsion continuait. Cette impulsion était d’autant plus forte que la société n’y faisait pas résistance, et que la source en était plus généreuse. Quand l’hallucination décalquait autour d’elle les empreintes de son siècle, quand elle avait son point de départ dans le dévouement, elle produisait nécessairement de plus grandes choses que de nos jours, où elle revêt les livrées d’un homme et de son égoïsme. Luther qui s’imagine avoir le démon pendu à son cou, Jean-Jacques Rousseau qui voit partout des amis malfaisans occupés à lui nuire, n’est-ce pas le même homme sous l’influence de deux époques différentes ? Dans le premier cas seulement, la vision est impersonnelle et désintéressée ; si Luther dispute avec l’ennemi du genre humain, c’est pour lui dérober des lumières utiles à son siècle. On conçoit qu’alors cette erreur d’un cerveau fatigué puisse être féconde en grands résultats. Dans le second cas, au contraire, ces visions mesquines, tracassières, mornes, obscurcissent le déclin d’une belle intelligence et la poussent à la folie mélancolique, peut-être même au suicide.

L’influence des croyances religieuses sur les doctrines médicales et sensible dans l’ouvrage de M. Brierre de Boismont. Deux ordres d’idées partagent aujourd’hui les esprits, l’ordre de foi et l’ordre de science ; l’auteur a essayé de les réunir. Cette tentative nous semble au moins prématurée. Dans l’état présent des choses, il y a de l’inconséquence à soutenir qu’un phénomène naturel dans un cas puisse devenir surnaturel dans un autre ; or, c’est précisément là que M. Brierre de Boismont est conduit par ses idées catholiques. Pour éviter de