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par une église intéressée à la conservation des abus qui la nourrissent, disparaîtra chassée à jamais par l’énergie de la pensée et de l’activité humaine. La pauvreté et l’oppression seront exilées de la terre, jamais dans aucune ame ne germeront cette pensée de la mort volontaire, cette soif ardente d’en finir avec la vie, symptômes d’une société odieuse et criminelle. Pour obtenir ces résultats, cette égalité des rangs, ce bonheur de tous, cette régénération qui transformera le globe, il n’est besoin que de suivre le cours des nouvelles destinées, et déjà elles s’annoncent ; la nature devient esclave de l’homme, le despotisme commence à plier la tête. La vapeur marche sur les mers ; la force fulminante de l’intelligence se révèle chez le paysan comme chez le roi.


« — Suicidés, mes frères, s’écrie l’un d’eux, levez-vous ! cessez vos gémissemens qu’il serait ignoble de prolonger. Nous eûmes tort de quitter la terre dans notre fureur contre le mal triomphant… Plus de murmure. La main de Dieu a mêlé le bien au mal pour ennoblir l’humanité ; il l’a condamnée au travail pour lui réserver les douceurs d’un triomphe universel et splendide.

« Frères, secouez la léthargie qui étouffe l’énergie de vos ombres puissantes ! Écoutez la parole du droit et du bien, de l’égalité et de la sagesse Bientôt vous renaîtrez au monde, qui sera une communauté d’amour, de science et de vérité.

« Apicius, se levant alors, répondit avec indignation :

« — Ridicules promesses ! Allez, et taisez-vous, déclamateurs insensés ! Rêveurs fanatiques et farouches, le bonheur que vous nous annoncez, je n’en veux pas ; c’est une folle ironie !

« Et il ne se souleva même pas de la couche sur laquelle il reposait languissamment. Les paroles de l’avenir n’éveillèrent ni les voluptueux, ni les sophistes ces derniers étaient de tous les plus endormis ; mais le reste des ombres suicides accourut en foule pressée, pleines de confiance et d’espoir.

« — O victimes des appétits sensuels, s’écria celui qui avait parlé, l’éternelle stupeur des brutes est donc vôtre destin ! vous devez donc à jamais rester étendus et couchés dans votre néant ! Puissiez-vous renaître un jour, animés d’un rayon plus pur, avec des ames plus humaines !

« Il disait, quand mon rêve disparut aux clartés du jour naissant qui éclairait ma prison. »


J’ai cité l’exorde et le dénouement de ce poème, aussi informe et aussi grandiose que les mammoths dont l’auteur a peuplé ses ondes tartaréennes ; ces fragmens donnent une idée suffisante de l’énergie funèbre qu’il a dépensée dans son œuvre. Quant aux idées qui l’ont inspirée, elles se résument ainsi : la société, jusqu’à l’époque où nous